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Mali entre l'inquiétude et l'espoir
Publié dans Réflexion le 03 - 12 - 2012

À l'heure où les tractations diplomatiques vont bon train, quand se prépare une intervention militaire dans le Nord, la capitale du Mali, bruissante de rumeurs contradictoires, fait le gros dos en attendant les décisions qui pourraient changer le cours des choses, tandis que peu à peu les intégristes tissent patiemment leur toile.
Mardi dernier, Alberto Rodriguez Leal (soixante et un ans), ressortissant français né au Portugal, était enlevé par des hommes du Mujao à Diéma, localité située à l'est de Kayes, ville proche des frontières avec le Sénégal et la Mauritanie. C'est le septième otage français. Le projet du déploiement d'une force armée internationale, composée de soldats africains avec l'appui logistique de pays occidentaux, a été remis hier au Conseil de sécurité de l'ONU, qui devait donner, ou pas, son feu vert. Pendant ce temps, les négociations se poursuivent avec le groupe islamiste Ansar Dine, essentiellement touareg, dans le but de l'inciter à rompre avec ses alliés d'Aqmi et du Mujao. L'Algérie, de son côté, met en garde contre une intervention militaire et préconise une solution « maliano-malienne ». L'Union européenne soutient l'intervention avec l'envoi, d'ici à janvier 2013, de 250 formateurs, l'objectif étant d'entraîner l'armée malienne en six mois et de rendre efficace cette armée, forte d'environ 7 000 hommes, pour combattre au Nord. Romano Prodi, émissaire des Nations unies pour le Sahel, estime qu'« une opération militaire dans le nord du Mali ne serait pas possible avant septembre ou octobre de l'an prochain ». « Elle nécessite, précise-t-il, des préparatifs et tout, d'abord, doit être fait pour la paix et pour éviter la guerre. » Au Mali, cette annonce a eu l'effet d'un coup de massue, car la rue réclame la guerre à cor et à cri. « On n'a pas de temps à perdre, s'insurge par exemple Modibo Thiam, qui est camionneur. L'armée pourrait libérer les gens du Nord. » AdamaCissé, vendeur de cartes téléphoniques Orange, est en colère : « Si ça se passait en France, ça prendrait une semaine, pas plus. »
À Bamako, novembre est très doux. Les récoltes sont engrangées. Par bonheur, cette année, la pluie est tombée comme il faut. De quoi faire un peu oublier la réalité du pays, aux deux tiers occupé par des groupes terroristes, soumis à un embargo tacite, asphyxié de toutes parts et en crise politique et institutionnelle grave. D'aucuns ne pensent qu'à débarquer le premier ministre, cheik Modibo Diarra. Bientôt, c'est l'hivernage. Les Bamakois mettront leur laine pour traverser le pont des Martyrs sur un scooter chinois importé depuis peu : « Pas cher mais quand ça casse, c'est foutu, y a pas de pièces de rechange ! » Au Mali, quand les choses tombent en panne, on dit : « C'est des chinoiseries. »
On dirait que « les populations » vivent dans une relative inconscience du danger. Une guerre grèverait violemment le budget déjà restreint des ménages. Après la fête de l'Aïd, les plus pauvres sont rincés, car le prix du mouton (denrée rare, le bétail étant bloqué au Nord) a plus que triplé. Il a été décidé de ne pas taxer pour un temps les denrées de première nécessité, afin de ne pas ajouter une crise à une autre.
Devant une échoppe du quartier du Fleuve où tout se vend à l'unité, de l'œuf au paquet de Kleenex en passant par la cigarette, un Bamakois plie son journal et engage la discussion en pelant une mandarine : « Bonjour, ça va ? Et la famille, ça va ? Moi, c'est Moussa Kanté. Chez nous, le nom de famille c'est le GPS. Il renseigne sur l'itinéraire social et nous indique comment négocier. C'est païen, ça ! Avant d'être animistes ou musulmans, nous avons d'abord foi en nos valeurs communautaires. » Au sol, le titre des Echos, feuille locale : « La guerre n'est pas plus exécrable que la servitude », retient son attention. « La guerre, je n'y crois pas, affirme-t-il. Ils vont trouver une sortie honorable. » « Les intégristes, ajoute-t-il, rentreront en Algérie quand ils seront stoppés et Iyad Ag Ghali, la tête d'Ansar Dine, est malien. D'ailleurs, il a rejeté l'extrémisme et le terrorisme, il ne remet pas en cause l'intégrité territoriale du pays, et c'est très important, parce qu'on peut discuter avec lui sur la charia. ».
À côté, le marchand de journaux ne l'entend pas de cette oreille. « Iyad Ag Ghaly va être blanchi une fois de plus ! Un jour il dit ça, mais le lendemain il dit que s'il y a la guerre, des djihadistes vont venir par centaines aider ses frères musulmans. » Un marchand de cacahuètes en a après le MNLA : « Ils ont été les premiers à amener tout ce désordre et on va pas accepter qu'ils s'en tirent comme ça ? »
Au mess des officiers du quartier de Faladié, devant des brochettes de bœuf et de bananes frites arrosées de Fanta orange, le capitaine Traoré nous confie : « Il paraît que l'Algérie fait pression pour qu'Ansar Dine ne soit pas considéré par les Nations unies comme un groupe terroriste, contrairement au Mujao. » Le capitaine Traoré n'attend qu'une chose : « Que l'armée puisse aller se battre pour retrouver son honneur perdu. » Ce jour-là, on apprend que le lieutenant-colonel Diallo vient d'entamer une grève de la faim pour dénoncer ce qu'il nomme « la léthargie de l'armée, ballottée entre la peur et le ridicule et minée par de graves dissensions ». Pour sa part, Moussa Baary, petit vendeur de bijoux peul, pense qu'« avec Ansar Dine l'Algérie a jeté ses poubelles dans la cour, et la cour c'est le Mali, et on ne peut pas accepter ça ». Il est né à quatorze kilomètres de Niafunké, la ville natale du célèbre chanteur Ali Farka Touré. Plus question pour lui de retourner là-haut, car la vente des bijoux est prohibée par la charia. En outre, ici, dans le Sud, « il n'y a personne pour les acheter ».
Bamako semble figée, à l'image de ces affiches poussiéreuses, à moitié déchirées, collées sur les poteaux et les palissades de Magnambougou. Elles annonçaient le Salon de l'agriculture qui devait avoir lieu du 17 au 24 mars. Le 22, c'était le coup d'Etat.
C'est lundi matin. Dans son taxi rouillé jusqu'au moteur, le chauffeur guette le client. « L'an passé, on s'entassait à trois ou quatre à l'arrière, nous dit-il. Aujourd'hui, je roule du matin au soir sans trouver personne. On se débrouille... Un sac de riz coûte 16 000 francs CFA. Moi, je gagne à tout casser 1 000 francs CFA dans la journée. » Il s'arrête pour monsieur Sidibé, cadre dans l'énergie solaire, qui monte à l'avant et se mêle aussitôt à la conversation. « Tous les jours, nous dit-il, j'ai un oncle et une tante qui se postent devant chez moi et attendent les 3 000 francs CFA que je leur remets chaque jour, crise ou pas crise. »
Ce pays ne crée pratiquement plus de richesse. Il vit principalement de taxes douanières (les deux tiers du budget malien viennent de l'extérieur) et de l'impôt, dont l'assiette est faible. Il y a surtout la corruption. Les poches de misère s'agrandissent. En apparence, la vie suit un cours normal et, dans cette période de retour de La Mecque, à Bamako on se marie en masse le dimanche, quand bien même les signes d'inquiétude ne manquent pas. Le quotidien l'Indépendant révèle qu'un djihadiste français, Ibrahim Ouattara, né à Aubervilliers, connu des services de police de notre pays pour tentative d'assassinat en 2010 sur la personne du recteur de la mosquée de Paris, DalilBoubakeur, a été interpellé à Sévaré, près de Mopti, non loin de la possible ligne de front à venir. Il aurait atterri deux jours plus tôt à Bamako sur un vol Air France. Son but : gagner Tombouctou pour le djihad. On sait par ailleurs, de source sûre, que des cellules dormantes d'Aqmi et du Mujao sont présentes dans la capitale. On signale çà et là dans la ville des formes d'intolérance jusqu'ici inconnues. Les réunions de jeunes dans les quartiers sont systématiquement interrompues par des imams furibards qui, à l'heure des prières, entendent imposer le silence. Les femmes en niqab (voile intégral) sont plus nombreuses. On en compte 80 % dans certaines communes...
« C'est moins dû à la ferveur religieuse qu'à une crise des valeurs morales », nous dit l'anthropologue HamidouMagassa. Pour lui, « on a la crise qu'on mérite ! Elle remonte au coup d'Etat de 1968 contre Modibo Keita, puis aux vingt-trois années de dictature de Moussa Traoré et, à partir de 1991, aux vingt années de démocratie en trompe-l'œil. Le renversement de la dictature n'a rien changé au système ». Face à la destruction de la famille et de l'Etat, à la faillite de l'armée et à l'abaissement des valeurs morales, la tentation du repli spirituel est forte, et un islam qui se veut pur et dur, et qui offre ses compensations symboliques, est littéralement à portée de la main. « Les seuls à avoir une forte capacité de mobilisation au Mali aujourd'hui, ce sont les religieux », nous dit encore cheik Oumar Diarrah. Dans un pays « doté de cent vingt-cinq partis uniques » (HamidouMagassa), le taux de participation aux dernières législatives n'a même pas atteint les 16 %. « Si le politique ne retrouve pas sa crédibilité, explique cheik Oumar Diarrah, il n'est pas impossible que dans un proche avenir ces gens-là imposent leur idée d'une République islamique. » C'est qu'à Bamako les mosquées poussent comme des champignons. Les wahhabites, qui sont pour la plupart des commerçants, ne représentent encore qu'un petit nombre mais ils sont actifs et extrêmement patients. Quant au recrutement de nouveaux adeptes, le chômage endémique est pour ces boutiquiers un autre fonds de commerce. À Djikoroni, ce vendredi-là, jour de la grande prière, on remarque une douzaine de femmes couvertes de la tête aux pieds d'un grand tissu noir sous lequel, on peut l'imaginer, il doit faire chaud à crever. Elles se dirigent à petits pas vers une mosquée toute neuve, évidemment peinte en vert et blanc. « Les wahhabites au Mali n'ont pas encore l'organisation des Frères musulmans », constate cheik Oumar Diarrah. En revanche, ils ont un agenda et sont financés par l'Arabie saoudite et le Qatar.
GLOSSAIRE
Le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) est le groupe historique des rebelles touareg. Laïque et séparatiste, il réclame l'indépendance du nord du Mali. En avril 2012, le MNLA contrôle l'essentiel de la région mais 
il en est chassé par les autres groupes.
Ansar Dine (les protecteurs de l'islam). A été fondé en 2010 par une 
ex-figure des rébellions touareg, Iyad Ag Ghali, devenu depuis intégriste. 
Le groupe veut faire du Mali un Etat islamique.
Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). En janvier 2007, les intégristes algériens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) s'affilient à al-Qaida et deviennent Aqmi. Il est dirigé par des Algériens.
Mouvement pour l'unicité et le djihad en Afrique de l'Ouest (Mujao). 
C'est une dissidence d'Aqmi, composée de combattants subsahariens très liés 
à des trafiquants locaux de drogue, et qui se recentre sur les pays sahéliens.


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