De nombreux pays du continent africain, surtout dans sa partie subsaharienne, célèbrent le cinquantième anniversaire de leur indépendance en 2010. Il s'agit d'un événement dans la mesure où l'Afrique, qui a tragiquement traversé des siècles de souffrances physiques et morales, individuelles et collectives, durant deux 'Grands Dérangements' - la traite négrière (le plus grand génocide de l'histoire de l'humanité) puis la colonisation - est enfin, semble-t-il, dirigée par ses propres enfants. AFRICA N°1 souhaite procéder, un demi-siècle plus tard, à l'analyse du sens de cette indépendance et à une méditation sérieuse sur le bilan de l'exercice du pouvoir par les Africains eux-mêmes. C'est aussi l'occasion de s'interroger sur l'intolérable paradoxe de l'Afrique : continent gorgé de richesses naturelles et humaines, mais continent paupérisé, assisté, fragilisé... 50 ans de non indépendance des pays africains, ça se fête ? Cette année 2010 sera marquée par la célébration des 50 ans d'indépendance de nombreux pays africains (dont 14 ex-colonies françaises) : le Bénin, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, la République Démocratique du Congo (RDC), la Côte d'Ivoire, le Gabon, le Burkina Faso, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria, le Tchad, le Togo, le Sénégal et la Somalie. En Europe, les gouvernements et les grands médias des anciennes métropoles, comme la France et la Belgique, ne manqueront pas ce rendez-vous... Seul problème : il ne sera pas historique. Ces commémorations officielles se feront dans un déni d'histoire pour les peuples colonisés. En Belgique la « grand-messe » se déroulera le 30 juin avec une volonté affichée de ne pas parler du passé qui fâche : la colonisation de la République Démocratique du Congo (RDC). Chacun s'y affaire, des responsables politiques en passant par les grandes chaînes de télévision, dont certaines diffuseront un journal télévisé spécial depuis Kinshasa. Les commémorations de l'indépendance de la RDC seront festives, artistiques et résolument « tournées vers l'avenir ». Finalement rien de très étonnant, tout cela s'inscrit parfaitement dans la vision néo-coloniale que les Européens ont de l'Afrique : un continent sans Histoire mais aux folklores des plus fous. Cette vision raciste de l'Afrique se résume en deux phrases extraites du cynique discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy en juillet 2007 : « Le drame de l'Afrique n'est pas dans une prétendue infériorité de son art, sa pensée, de sa culture (...) le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'Histoire ». En France, Nicolas Sarkozy a confié à Jacques Toubon la mission de mettre en œuvre une initiative « 2010-Année de l'Afrique », ayant pour objectif, dans le cadre de la célébration du 50ème anniversaire de l'indépendance, « de souligner et de confirmer l'évolution des relations entre la France et l'Afrique subsaharienne qui doivent rester privilégiées tout en étant renouvelées, équilibrées et transparentes. » J. Toubon, ancien garde des Sceaux, a déjà rencontré une dizaine de chefs d'Etat africains, l'objectif officiel étant de les associer au maximum aux cérémonies dont l'apothéose se déroulera le 14 juillet avec un défilé des contingents militaires africains sur les Champs-Elysées, en présence des ces 14 chefs d'Etat... Pourquoi aujourd'hui l'Europe enlèverait-elle enfin sa tenue de colon ? La camisole de force des pays africains a tenu jusqu'ici… 50 ans de fausses indépendances ! Alors musiques, cortèges, folklores : le néo-colonialisme a de beaux jours devant lui, puisque ce qui compte c'est l'avenir ! Voilà le refrain qui sera chanté lors des commémorations officielles...