C'était le temps où nous attendions fiévreusement les étrennes de l'Aïd pour se ruer littéralement sur une des nombreuses salles de cinéma et nous régaler d'un péplum, d'un western ou d'un film hindou. Nos héros s'appelaient : Hercule, Gary Cooper et Mangala et on portait à leur rencontre, dans nos habits neufs, comme dans un véritable rituel. Le cinéma était bien plus qu'un loisir, un rituel auquel nous nous adonnions avec une passion inégalée. Chaque quartier avait sa salle qui se spécialisait dans un genre précis : le policer, le film d'aventures, de cape et d'épée et le film arabe avec une nette domination des Egyptiens avec les magistraux Youssef Chahine et Henri Baraket et les inoubliables chefs-d'œuvre ou trônaient Faten Hamama, Abdelhalim Hafez ...C'est cette culture dans laquelle nous avions baigné qui fera de nous des cinéphiles avertis, qui, plus tard, adhérions en masse aux cinés club des lycées. Parce que chaque lycée avait son ciné-club que la cinémathèque faisait un devoir d'approvisionner de longs métrages que les profs de français et d'histoire géo faisaient suivre de longs débats. Il faut juste ouvrir une parenthèse pour que le cinéma servait alors de support pédagogique et à l'adolescence, nous connaissions déjà le néoréalisme italien, la nouvelle vague française et le cinéma soviétique, dont le gigantesque « Quand passent les cigognes », que nous avons alors découvert au lycée ! Parallèlement, le cinéma algérien n'était pas en reste et il nous fallait acheter nos tickets au marché noir pour voir «L'opium et le bâton», «La nuit a peur du soleil», ainsi que les fantastiques films où Rouiched, alias Hassan, crevait l'écran. Et plus rien! Hormis quelques belles éclaircies comme le très caustique «Omar Gatlatou». Les années qui suivirent furent celles de la disette qui s'empara du 7éme art. On évoquera l'avènement de la télévision par satellite, et plus tard l'Internet, pour expliquer cette déshérence du cinéma. Faux ! Sous d'autres cieux, les nouvelles sorties sont accueillies avec enthousiasme et de nombreux films se comptabilisent en million d'entrées. Parce qu'avant d'être un art, le cinéma est aussi et surtout une industrie où la plus rude des concurrences est livrée entre producteurs, réalisateurs, distributeurs, acteurs et tous les corps de métiers qui s'y greffent. En Algérie, ce genre de conglomérat était actif dans des structures étatiques telles que « l'ONCIC », devenu plus tard le centre de l'industrie cinématographique (CAIC), qui ont fini par rendre l'âme, faute d'intérêt plus que de moyens. Depuis, le cinéma national périclite dans d'insignifiantes séries qui constituent une insulte à ce qui fut le cinéma des années 1970 : du fabuleux feuilleton «Dar Sbitar» et «El Harik» adapté de l'œuvre immortelle de Mohamed Dib, aux insanités qu'on nous sert en guise de sitcom, c'est la dégringolade. Même les acteurs ne savent plus jouer, du petit Omar et de la magistrale ‘'Chafia Boudraa ‘' aux bellâtres et aux actrices outrageusement maquillées. On mesure toute la décadence du cinéma qui prétend remplacer l'immenses Rouiched.