De prime abord, il est à remarquer que dans ce dossier brûlant de la Syrie, le protagoniste principal n'est autre que le président russe Vladimir Poutine. Mais pourquoi? A vrai dire, la conjoncture internationale récente où l'on a assisté au choc subit de plusieurs facteurs politiques, à savoir la crise économique mondiale, les troubles du Printemps Arabe, le conflit israélo-palestinien et l'approchement des élections présidentielles américaines a fait en sorte que cet «homme à la poigne de fer» ait imposé facilement ses règles du jeu aux occidentaux. Ainsi s'est-il montré avec son ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov d'une grande dextérité tactique, en relançant implicitement le vieux projet «expansionniste» de l'ex-U.R.S.S (dossier de l'Ukraine, l'annexion de l'île de Crimée, guerre civile en Syrie, etc). Bien entendu, ce n'est, au demeurant, un secret pour personne, cet inséparable couple «Poutine-Lavrov» aurait évité de justesse un cataclysme supplémentaire à la Syrie pour deux raisons essentielles. Premièrement, parce qu'il a refusé le bombardement par les puissances alliées, la France en tête, du régime bâassiste de Damas suite à son usage présumé en août 2013 d'armes chimiques contre des populations civiles. Si, par exemple, cette intervention-là avait eu lieu, le monde aurait, sans doute, déploré l'émergence d'un autre Etat terroriste d'une taille et d'une ampleur autrement plus considérables que le Daesh actuel. Lequel menacera, à son tour, et probablement encore davantage les libertés religieuses, officialisant ainsi le massacre massif des Alaouites (le clan d'Al-Assad) et l'exil des chrétiens d'orient vers les pays voisins, en particulier le Liban. La conclusion d'un accord entre Russes et Américains sur le démantèlement de l'arsenal chimique syrien au moment où les alliés étaient résolus pour passer à l'action aurait été, dans ce cas de figure, salutaire. Deuxièmement, parce que les russes sont intervenus au moment opportun en septembre 2015 pour endiguer l'inévitable avancée des islamistes de Daesh. Ce qui a permis le recul graduel de l'Etat islamique (E.I) et la reprise de l'armée d'Al-Assad, jusqu'alors battue sur le terrain, de ses positions militaires initiales. Sur ce point-là, on peut affirmer que Poutine a respecté son engagement du départ de réduire le pouvoir de nuisance de l'E.I, tout en envoyant un message politique fort, aisément décryptable, aussi bien aux occidentaux qu'à son allié stratégique de Damas. Il a rappelé aux premiers qu'ils étaient en train de jouer dans son «espace vital» duquel ils devraient être expulsés manu militari. Et, au moment de se retirer de la Syrie, il a implicitement mis en garde le second (Al-Assad) contre tout entêtement à rejeter le dialogue avec les rebelles, le seul moyen, paraît-il, pour espérer une sortie rapide de la crise. Comme s'il lui susurre à l'oreille ceci : «Je suis là à te soutenir mais fais en sorte que tu règles ton problème toi-même sans moi!». Ancien agent du K.G.B (services secrets russes), rompu aux intrigues, aux suspens et aux coups de force, Poutine apparaît là où on l'attend le moins et disparaît là où tout le monde pense qu'il allait agir! Tacticien, il tape fort quand il le faut au point de fasciner même ses propres ennemis, comme d'ailleurs ce républicain fantasque «Donald Trump» qui ne tarit jamais d'éloges pour lui! Quoique, encore faudrait-il le souligner ici, certains analystes minimisent ses qualités, estimant que l'homme fort de Moscou ne fait que poursuivre la politique russe initiée par les tsars depuis le XVIII siècle. Laquelle consiste à conquérir coûte que coûte des ouvertures navales un peu partout dans le monde (la quête des eaux chaudes). C'est pourquoi, la base militaire maritime de Tartous, l'unique que possède, du reste, le Kremlin en Méditerranée, est perçue comme le facteur déterminant de son engagement pérenne en Syrie. Mais au-delà de toutes ces données, quel est le destin réservé à ce joyau de l'Orient qu'est la Syrie? Incontestablement, mort, gâchis, misère, chaos, exil! Et pourtant, cette nation-là aurait, pour rappel, enregistré entre 2000 et 2008, une embellie financière des plus extraordinaires ayant été favorisée par l'ouverture du pays aux technologies de l'information et de la communication, le tourisme et la libéralisation partielle de son économie. Il se trouve, malheureusement, que les inégalités et la mauvaise répartition des richesses ont engendré de la frustration et du ressentiment chez les classes moyennes (en particulier les couches populaires sunnites). Une prospérité qui a été également stoppée par une période sévère de sécheresse ayant commencé en 2006. Ce qui a accéléré l'exode rural vers les villes, la montée de la colère et le retour en force de l'islamisme. La suite, on la connaît tous, hiver arabe oblige. Bref, le recentrage russe au Moyen-Orient n'est pas fortuit. Il se confronte, en plus de cette faiblesse chronique de la Syrie et son dépeçage éhonté, aux contradictions françaises et à la passivité relative des Américains. Très impopulaire à l'intérieur de son pays, François Hollande s'est, semble-t-il, fourvoyé dans une cécité diplomatique incompréhensible à l'extérieur. En octobre 2012 à titre d'exemple, les forces françaises ont violé l'embargo international sur les armes, en livrant des munitions et du matériel militaire pour les rebelles syriens. Erreur très grave! D'autant que cet arsenal-là a fini aux mains de Daesh, lequel aurait financé, plus tard, les attentats djihadistes en métropole. De même, l'Hexagone a dû fermer, en avril 2013, le siège de son ambassade à Damas, croyant naïvement à la chute imminente du régime bâassiste. Encore un faux pronostic et une grosse bourde de la part de l'Elysée. Conséquence: toutes les portes à même de mener à une médiation française dans le conflit syrien ont été bloquées. Et le comble, en cette même année 2013, Hollande a subi, en chef de guerre, un double revers diplomatique. N'ayant pas, vraisemblablement, vu le coup fatal venir de son propre camp lorsqu'il s'est mis à battre le rappel des troupes pour une intervention musclée anti-Assad, il aurait mal digéré le désistement d'Obama à la dernière minute. Celui-ci, davantage tourné à la région de l'Asie-pacifique, aurait négligé le Moyen-Orient depuis son fameux discours du Caire de 2009, du moins sur le plan militaire. En effet, le retrait américain de l'Irak en 2010 a déjà été vu par de nombreux connaisseurs comme trop précipité et, peut-être même, à l'origine de la montée en force de cette nébuleuse de l'Etat Islamique. De toute façon, la volte-face de la maison blanche a sérieusement terni l'image de F. Hollande à l'intérieur et l'a relativement rabaissé à l'international, notamment aux yeux des autres nations européennes. En optant pour des choix précipités et unilatéraux, la France s'est, de toute évidence, laissée effacer graduellement de la scène, perdant aussi bien son poids historique que géostratégique au Moyen-Orient en général et, plus particulièrement, en Syrie. Pour preuve, en 2015, une première dans les annales, elle n'était pas invitée à «la Conférence de Genève sur la Syrie» alors qu'elle fut de par le passé la puissance mandataire sur ce pays-là jusqu'en 1946! Pourquoi la France a-t-elle reculé? La réponse est, sans aucun doute, dans l'autre versant du miroir, c'est-à-dire, le charisme, la sagacité et l'interventionnisme raisonné de V. Poutine qui se pose en interlocuteur incontournable face aux Américains. Par ailleurs, on peut bien constater rétrospectivement, comme dans le cas de la Syrie actuelle qui recourt souvent aux Russes, que les Arabes n'ont jamais été autonomes, c'est-à-dire qu'ils n'ont jamais pu se débarrasser des puissances colonisatrices ou mandataires que par le recours à d'autres puissances. En voulant sortir du giron ottoman pendant la première guerre mondiale (1914-1918), ils ont fait appel aux Anglais et aux Français. En 1941, ils ont sollicité l'aide des Italiens et des Allemands pour se sauver de ces mêmes Anglais et Français, terrible! Et puis, enfin, au lendemain de la seconde guerre mondiale (1939-1945), la majorité d'entre eux se sont alliés soit avec les Russes, soit avec les Américains, échouant dans leur tentative désespérée de constituer un bloc à part. Mais pourquoi ces Arabes-là comptent-ils toujours sur les autres? Est-ce un caractère historique, anthropologique, héréditaire ou simplement dû à la défaite de leurs élites et de leurs politiques? On n'en sait rien à vrai dire. Reste, pour en revenir au sujet, ce mystérieux Erdogan qui n'y est pas allé de main morte. Son chantage à l'Union Européenne sur la question des migrants dévoile une partie de ses cartes dans ce jeu de Poker moyen-oriental. En difficulté économique, la Turquie se recycle à son avantage dans cette crise syrienne. Et voyant que son pouvoir s'érode face à la contestation populaire grandissante, Erdogan, très calculateur, essaie d'asseoir son autoritarisme à la faveur du coup d'Etat manqué du mois de juillet dernier et aussi par ses tentatives répétées de changer la constitution pour consacrer la présidentialisation du régime. Du coup, deux pistes ou «avantages» s'ouvrent à lui. Premièrement, il lui sera facile de venir à bout, tant que la société turque s'islamise de plus en plus, de son opposition kurde et alevi afin de pousser, dans un premier temps, ces minorités résistantes à l'exil, puis, repeupler les zones qu'elles ont abandonnées par les masses de réfugiés syriens. Le second avantage étant que, politiquement éliminée, l'armée turque, du reste mal vue de la part des chancelleries occidentales à cause de son penchant immodéré pour les pronunciamientos et les coups de force, ne peut jamais ressurgir de nouveau en tant qu'interlocutrice ou représentante officielle de la volonté populaire. En plus, affaiblis par le soutien actif des Américains à Erdogan, les militaires turcs ne trouvent guère grâce aux yeux de la société civile, les masses populaires, les médias, etc. Ces derniers voient en eux, la fausse incarnation du Kémalisme ou de la laïcité, sinon, le vrai visage de la corruption et des magouilles. Encore un coup gagnant pour Erdogan. Ce dernier, après avoir marginalisé «Abdullah Gül» son rival du parti de la justice et du développement et réduit au silence la confrérie de Fethullah Gülen, s'apprête maintenant à la dernière étape : «le forcing syrien». Mais là, il s'est rétracté par rapport à ses premières positions radicalement anti-Assad! Récemment encore, soit le 10 juillet dernier, son Premier ministre aurait souhaité une normalisation de l'axe Ankara-Damas-Moscou. Le gouvernement turc s'est même fendu d'une lettre d'excuses au Kremlin pour l'avion russe abattu le 24 novembre 2015 par les forces turques à la frontière turco-syrienne. Va-t-on vers une alliance du type : Damas-Ankara-Téhéran-Moscou? Ou ce n'est que de l'union conjoncturelle rien que pour déranger les occidentaux, très critiques envers les mesures qu'Erdogan aurait prises contre ses comploteurs? Et la Syrie dans tout ça ? Sortira-t-elle du piège tendu par les grandes puissances ou en restera-t-elle, pour longtemps l'enjeu, sinon la proie? Wait and see.