La chaîne de télévision qatarie Al Jazeera a dénoncé hier une atteinte à la liberté d'expression de la part de l'Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, de Bahreïn et de l'Egypte, qui réclament son démantèlement. "Nous affirmons notre droit à pratiquer notre métier de journalistes de façon professionnelle sans céder aux pressions de quelconques gouvernements ou autorités et nous demandons que les gouvernements respectent la liberté des médias pour permettre aux journalistes de continuer à faire leur travail sans intimidations ni menaces", a annoncé sa direction. Outre la fermeture de chaîne, Riyad et ses alliés, qui ont rompu leurs relations diplomatiques et économiques avec le Qatar en lui reprochant de soutenir des organisations terroristes, exigent notamment que l'émirat prenne ses distances avec l'Iran et rompe avec les Frères musulmans, l'Etat islamique, Al Qaïda, le Hezbollah et le Front Fateh al Cham, ancienne branche syrienne d'Al Qaïda. Les exigences exorbitantes du front anti-Qatar Un document de travail, qui a fuité, liste 13 demandes de l'Arabie saoudite et des Emirats au Qatar. Elles reviennent à mettre Doha sous tutelle. C'est une telle liste d'exigences que, si elle était remplie, le Qatar disparaîtrait en tant qu'Etat souverain. Selon un document de travail, révélé par l'agence Associated Press, l'Arabie saoudite, les Emirats arabes unis (EAU), Bahreïn et l'Egypte, qui ont rompu leurs relations diplomatiques et mis en place un embargo contre le Qatar depuis le 5 juin, ont transmis une liste de treize conditions que Doha devra remplir pour mettre fin à la crise. Le document, qui a été remis à l'émir du Koweït chargé d'une médiation, demande l'arrêt de tout contact avec les « organisations terroristes » – les Frères musulmans, l'organisation Etat islamique, Al-Qaida et le Hezbollah sont cités, mais pas le Hamas palestinien –, mais aussi avec les partis d'opposition aux EAU, à l'Arabie saoudite, à l'Egypte et à Bahreïn, l'expulsion de tous les opposants hébergés au Qatar et considérés comme « terroristes » par ces quatre pays. Les Frères musulmans sont particulièrement visés, dont le religieux égyptien Youssef Al-Qaradawi. Par ailleurs, il est également exigé du Qatar la fermeture de sa chaîne d'informations Al-Jazira et d'autres médias financés par lui. Sur le plan diplomatique, Doha est sommé de réduire ses relations politiques et commerciales avec l'Iran et de cesser toute coopération militaire avec la Turquie. Enfin, l'émirat devra payer des « réparations » financières à ses voisins et se soumettre à un mécanisme de contrôle pendant les dix prochaines années. Une véritable mise sous tutelle inacceptable pour le Qatar, qui n'a pas réagi officiellement – mais dont la direction d'Al-Jazira a dénoncé une tentative de « supprimer le droit à l'information ». « Acte hostile » Le ministre d'Etat des affaires étrangères des EAU, Anwar Gargash, joint par Le Monde, a confirmé l'existence de cette liste, précisant qu'« il s'agit d'un document de travail destiné à démarrer la discussion ». Il voit dans la « fuite » de ce document dans la presse « un acte hostile du Qatar, qui préfère se livrer à des enfantillages dans les médias plutôt que d'entamer une négociation sérieuse sur les questions de fond ». Lors d'une rencontre à Paris, à l'occasion de la visite mercredi du prince héritier et régent des Emirats arabes unis à Paris, Mohammed Ben Zayed, M. Gargash avait insisté auprès du Monde sur le fait que la demande centrale des pays arabes en conflit avec le Qatar, dont les EAU sont le chef de file, concernait « le soutien accordé aux organisations terroristes comme l'EI et Al-Qaida, ainsi que ses différentes branches » (AQPA au Yémen, AQMI au Maghreb et dans le Sahel, Chabab somaliens et le Front Fatah Al-Cham, anciennement connu sous le nom de Front Al-Nosra en Syrie). Les EAU et l'Egypte considèrent également que les Frères musulmans, qui revendiquent une action politique non violente, sont la matrice idéologique du djihadisme sunnite. « Le soutien du Qatar à ces groupes prend différentes formes : hébergement de certains cadres, documents de voyage, financement direct ou par des personnalités résidant chez lui, diffusion de leur idéologie violente, etc. C'est pour cela que nous incluons les médias dans nos demandes. Nous n'avons rien contre eux en tant que tels, c'est leur message qui doit changer », a justifié M. Gargash, qui fait état d'une autre liste recensant 49 individus que le front anti-Doha souhaite voir arrêtés ou extradés. Pour M. Gargash, le reste des demandes, notamment celles concernant les relations du Qatar avec l'Iran et la Turquie, sont annexes. « Le Qatar a le droit d'avoir sa politique étrangère. Oman et le Koweït ont des relations étroites avec l'Iran et cela ne nous pose pas de problème. Mais il faut que le Qatar cesse de jouer contre son camp », concluait-il. Le front anti-Qatar n'a toutefois pas précisé quelles mesures il prendrait si ses exigences n'étaient pas satisfaites. Le Qatar ne veut rien lâcher Doha rejette toutes les accusations portées par ses ennemis saoudiens et émiriens. Le FBI et la France confirment que le site de l'agence de presse officielle qatarienne a bien été hacké par des free-lance russes. «Nous sommes tous Tamim». L'immense banderole est placardée près du Sports Club de Doha, la capitale. Les voitures arborent également de nombreux autocollants à la gloire de leur jeune émir «Tamim al-Majd» (Tamim le glorieux). Les Qatariens font bloc autour de leur dirigeant, alors que le minuscule émirat ne lâche rien dans la crise avec ses voisins saoudiens et émiriens, qui l'accusent de financer le terrorisme et d'être trop complaisant avec leur ennemi iranien. «Nous ne nous rendrons pas», a martelé son ministre des Affaires étrangères, Mohammed Ben Abdelrahman al-Thani, tandis que d'autres officiels rejetaient une par une les exigences posées par les Emirats arabes unis avant de lever les sanctions imposées à Doha.