Engager le débat sur la musique à Sétif serait projeter la réflexion culturelle sur l'émergence de la tradition du chant sétifien avec le folklore typiquement bédouin de Saïd et Saadoune, la troupe révolutionnaire Essaada avec l'introduction des instruments musicaux, le Staïfi de Benchaïb ou encore sa modernisation avec Mustapha Allal et Nordine Staïfi dans les années 1970. Cependant les exigences artistiques et culturelles de la cité ont fini par réserver une place privilégiée au chaabi, un genre qui véhicule l'image artistique d'Alger, la capitale. Présent à Sétif occasionnellement lors des soirées de Ramadhan, le genre qui a su se tailler une place sur la scène culturelle locale et se constituer un auditoire conséquent tente à présent de répondre à la demande de ses adeptes par l'entremise des troupes locales au nombre de deux. Il est vrai que le chaabi n'est pas encore arrivé à introduire la tradition festive qui n'obéit pas encore au rituel algérois lors des fêtes de mariage ou de circoncision. A Sétif, c'est le staïfi qui s'impose comme le maître des fêtes familiales malgré la concurrence du raï. Cependant, dans certains foyers le chaabi parvient à se frayer un chemin. Ce sont les cérémonies de mariages de ces jeunes adeptes qui sollicitent l'introduction du genre presque méconnu par l'ancienne génération, notamment celle des femmes. L'animation des fêtes procure une sensation nouvelle, celle d'une nouvelle tradition. C'est dans ce contexte que s'inscrivent les deux troupes qui tentent d'assurer un prolongement de cet art musical de la capitale et des villes côtières à la capitale des Hauts Plateaux. Ces deux formations reprennent le répertoire des chouyoukhs, mais, par moments, recourent à l'improvisation en opérant un travail réfléchi sur le texte « dans le but d'attirer l'auditoire vers un genre musical en déperdition parmi la population des jeunes », nous explique-t-on. Si pour la troupe dirigée par Nabil Mebarkia, c'est le respect des règles, de la tradition qui prévaut en imitant Kamal Bourdib, son idole, par le texte et par le rythme ou en recourant parfois à son parolier qui tente de produire une qcida proche de la poésie chantée, l'autre troupe dirigée par Boutchiche innove à l'occasion des cérémonies par l'introduction des paroles propres au folklore sétifien. Un chaabi, dit-on, chanté avec le répertoire staïfi comme support textuel. Là, l'auditoire retrouve la poésie populaire sétifienne chantée dans un autre style complètement différent du rythme habituel. « L'effet est psychologique » pour le chanteur qui tente de transporter son auditoire dans l'univers des soirées citadines d'Alger tout en le replongeant dans sa tradition orale et poétique locale. La tentative à ses débuts pourrait promettre du succès à l'avenir avec la multiplication des productions, mais, selon les puristes et conservateurs, l'expérience de l'introduction de la poésie propre au folklore sétifien en dehors du respect de la qcida ne fait que nuire au genre longtemps rehaussé dans ses règles par El Anka et ses élèves devenus à présent chouyoukh. Nabil Mebarkia qui milite pour l'officialisation des soirées de la chanson chaabi à Sétif, considère que le chaabi doit obéir aux règles poétiques de la qcida du répertoire de Sidi Lakhdar Benkhlouf. Son nouvel album est considéré à juste titre comme une nouvelle expérience à même de déterminer les compétences de son parolier qui produit un texte proche de l'arabe classique et de l'arabe populaire, selon les règles de la qcida traditionnelle, d'après le jugement du chanteur. Par Abdelhalim Benyelles