“Il y a de quoi être furieux lorsqu'on se rend compte tout d'un coup que les gens n'ont plus aucun respect, ni pour la nature ni pour le bien-être des autres. Ces personnes veulent faire de la ville de Sétif un désert. Ce sont des êtres nuisibles, qui ont apporté avec eux une sorte d'apocalypse dans cette ville.” Aïn El-Fouara de Sétif est connue pour son eau mais aussi pour ses platanes centenaires. Ils font partie, avec la fontaine antique, des particularismes de Sétif. Qui des Algériens de passage à Sétif ne passe pas voir au moins une fois Aïn El-Fouara ? Même les ministres et les chefs d'Etat successifs y sont passés. Cette esthétique n'est, malheureusement, pas perçue par les arriviste — nouveaux riches, partisans du capitalisme sauvage, débridé — qui n'y voient que “money” et rien que cela. Très récemment, un de ces arbres centenaires, qui a vu naître nos grands-parents, a été carrément abattu parce qu'il gênait la construction d'un hôtel. Cet acte est aussi grave que l'outrage qu'avait subi, à l'explosif, la célèbre statue “gardienne de la ville” il y a quelques années. Cela est inacceptable, condamnable ! Nous observons que tout ce qui fait le particularisme de Sétif est otage de la folie de l'argent qui détruit sans distinction avec, souvent, la complicité d'une administration amorphe et incompétente. Aujourd'hui à Sétif, chacun peut faire ce qu'il veut. Nous constatons cette impunité dans le non-respect des plans de construction qui prévoient des jardins, des espaces d'aération et une certaine esthétique. La cité Tlidjene, réputée pour ses villas avec jardin, se métamorphose pour laisser place au béton, et ce, à cause d'un entrepreneur qui a trouvé l'idée d'acheter les villas situées sur les angles pour y ériger des immeubles de trois étages avec garages et dont on se demande par quelles “prouesses juridiques” il arrive à les vendre en appartements ! Le constat est valable pour la cité des Cheminots. Ces immeubles, d'une laideur indicible, qui s'élèvent dans ces lieux inappropriés, au détriment du paysage urbain, l'ont été avec des permis de construire faisant fi des règles urbanistiques. Presque tous les espaces prévus “verts”, “aires de jeux” ou “parkings” des autres cités ont été “achevés” en les attribuant à des promoteurs, même ceux des cités dont les habitants sont propriétaires. Chacun sait qu'il suffit de connaître quelqu'un de bien placé dans les rouages pour se permettre tous les écarts. Là est le drame ! Il y en a encore qui s'arrogent le “droit” de greffer des “excroissances” à leur appartement au bas des immeubles sans se voir inquiétés. L'intérieur des logements fait l'objet aussi de transformations continues pour “gagner” une chambre, pour “agrandir” le salon ou pour ouvrir une fenêtre en trouant une structure. Les détritus sont souvent jetés sur “l'espace ou aire de jeux” mitoyen. Presque tous les locaux prévus pour le commerce, au bas des immeubles, ont été transformés en appartements avec tous les inconvénients qui en découlent. En matière d'adduction des eaux pluviales, d'assainissement et de voirie, beaucoup restent à faire. Les trottoirs, “ces chemins réservés aux piétons”, ne sont plus que des escaliers de deux à quatre marches. Mêmes aux normes, ils sont souvent impraticables, car “squattés” par les commerçants. En matière de commerce, c'est le souk au sens nuisible du terme. Les exemples du marché de fruits et légumes souk Abacha et des 1014-Logements — auxquels se sont greffés sur les trottoirs et chaussées, tels des tentacules, des étals d'un commerce informel dominateur — défient toutes les lois humaines et divines. Même les mosquées ne sont pas épargnées. On imagine la pagaille qu'il peut y avoir avec des alentours pleins de vendeurs en tous genres, vociférant à la sortie des fidèles et les routes qui bordent encombrées de véhicules qui stationnent même en troisième position ! C'est le même carrousel dégradant devant la “maison de Dieu” durant toutes les prières de la journée. Durant le Ramadhan, cela est indescriptible, car il faut ajouter les barbecues, et ce, jusqu'à l'aube. Certains espaces publics ont même été accaparés par des bandes organisées pour les “louer” en guise d'espaces “commerciaux” ou “parkings” sauvages. Ce qui ne manque pas de susciter des rixes souvent violentes. L'incivisme et la délinquance sous toutes ses formes (routière, violence, drogue, vols) se multiplient et se répandent. Comment en est-on arrivé à un tel basculement et avec une telle rapidité ? Tout le monde s'accorde à situer la date dans les années 1990 et la cause à un exode important de ruraux et d'autres villes fuyant le terrorisme pour un endroit plus sécurisé. Les plus aisés ont acheté des terrains, des immeubles, des villas, des appartements et commerces après avoir vendu leurs biens. Les moins aisés se sont regroupés comme ils pouvaient. Ce faisant, les prix de l'immobilier ont quintuplé, l'emploi devient rare, les maux sociaux se sont multipliés, les habitudes et mœurs citadines ont cédé la place aux mentalités et comportements ruraux. Sétif est devenue, comme la qualifient certains spécialistes, une grande ville “rurbaine”. Même l'administration n'a pas échappé du fait d'une dépréciation des valeurs et de l'incompétence des commis qui la composent, et ce, à tous les niveaux. Les pouvoirs publics contribuent, eux aussi, à cette déliquescence en n'entendant rien et ne voyant rien. L'absence de l'Etat, que représentent les élus et autres commis, est avérée au point que cela touche tous les aspects de la vie. Que ce soit en matière d'urbanisme, de commerce, de transport, de santé publique ou de répression de l'incivisme. Sétif, jadis réputée pour sa propreté et son hospitalité, est devenue, soudainement, une ville où il ne fait pas bon vivre. L'absence de réaction constatée chez beaucoup d'agents devant des faits délictueux n'est pas de la mansuétude car il faut signaler que les agents sont eux aussi, souvent, pris dans le dilemme de faire appliquer ou non la loi. Les exemples de “menaces” quand ils appliquent la loi ne manquent pas. La raison pour eux aussi n'accepte la sanction que lorsqu'elle est équitable et non discriminante. C'est la sensation de sécurité qui encourage le civisme. L'administration donne l'impression de parer au plus pressé par des improvisations en attendant on ne sait quoi. Sans objectifs clairs, sans programme précis et des méthodes arrêtées qui permettent de définir des actions coordonnées, on ne peut pas avancer. Les merveilles ne peuvent venir que par une réflexion et des actions concrètes utiles en rapport avec l'organisation et la sécurité de la ville, avec le style d'urbanisme et de l'habitat, avec une administration compétente et organisée, avec la lutte contre le gaspillage phénoménal constaté, avec une bonne coordination des services de l'exécutif, avec le bien-être et le civisme des citoyens, pour ne citer que quelques aspects de gestion de la cité. Le Sétif actuel n'est pas celui du passé récent. Ces phénomènes existaient certes, mais pas de cette ampleur. C'était une ville propre et paisible. Aujourd'hui, toutes les valeurs propres à cette ville se perdent dans les méandres d'une évolution incontrôlée ! Terminons avec ces propos tenus par deux citoyens de cette ville, rapportés par un ami journaliste, au sujet de l'arbre abattu : “Un tel acte est plus que répréhensible. Nous demandons aux autorités de prendre les mesures contre quiconque oserait s'attaquer à de tels trésors”, dira aâmi Smaïl, notable âgé de 80 ans. Un habitué du café de Aïn El-Fouara, écœuré, dira en ce sens : “Il y a de quoi être furieux lorsqu'on se rend compte tout à coup que les gens n'ont plus aucun respect, ni pour la nature ni pour le bien-être des autres. Ces personnes veulent faire de la ville de Sétif un désert. Ce sont des êtres nuisibles, qui ont apporté avec eux une sorte d'apocalypse dans cette ville.”