CCXI?me Nuit (Suite) Le vaisseau mit ? la voile avec le vent en poupe, qui le fit avancer consid?rablement dans sa route, dix jours sans discontinuer; le onzi?me jour, il devint un peu contraire; il augmenta, et enfin il fut si violent, qu?il causa une temp?te furieuse. Le vaisseau ne s??carta pas seulement de sa route, il fut encore si fortement agit?, que tous ses m?ts se rompirent, et que, port? au gr? du vent, il donna sur une s?che et s?y brisa. La plus grande partie de l??quipage fut submerg?e d?abord; les uns se fi?rent ? la force de leurs bras pour se sauver ? la nage, et les autres se prirent ? quelque pi?ce de bois ou ? une planche. Beder fut des derniers; et, emport? tant?t par les courants et tant?t par les vagues, dans une grande incertitude de sa destin?e, il s?aper?ut enfin qu?il ?tait pr?s de terre et peu loin d?une ville de grande apparence. Il profita de ce qui lui restait de force pour y aborder, et il arriva enfin si pr?s du rivage, o? la mer ?tait tranquille, qu?il toucha le fond. Il abandonna aussit?t la pi?ce de bois qui lui avait ?t? d?un si grand secours. Mais, en s?avan?ant dans l?eau pour gagner la gr?ve, il fut fort surpris de voir accourir de toutes parts des chevaux, des chameaux, des mulets, des ?nes, des b?ufs, des vaches, des taureaux et d?autres animaux, qui bord?rent le rivage et se mirent en ?tat de l?emp?cher d?y mettre le pied. Il eut toutes les peines du monde ? vaincre leur obstination et ? se faire passage quand il en fut venu ? bout, il se mit ? l?abri de quelques roches, jusqu?? ce qu?il e?t un peu repris haleine et qu?il e?t s?ch? son habit au soleil. Lorsque ce prince voulut s?avancer pour entrer dans la ville, il eut encore la m?me difficult? avec les m?mes animaux, comme s?ils eussent voulu le d?tourner de son dessein et lui faire comprendre qu?il y avait du danger pour lui. Le roi Beder entra dans la ville, et il y vit plusieurs rues belles et spacieuses, mais avec un grand ?tonnement de ce qu?il ne rencontrait personne. Cette grande solitude lui fit consid?rer que ce n??tait pas sans sujet que tant d?animaux avaient fait tout ce qui ?tait en leur pouvoir pour l?obliger de s?en ?loigner plut?t que d?entrer. En avan?ant n?anmoins il remarqua plusieurs boutiques ouvertes, qui lui firent conna?tre que la ville n??tait pas aussi d?peupl?e qu?il se l??tait imagin?. Il s?approcha d?une de ces boutiques o? il y avait plusieurs sortes de fruits expos?s en vente d?une mani?re fort propre, et salua un vieillard qui y ?tait assis. Le vieillard, qui ?tait occup? ? quelque chose, leva la t?te; et, comme il vit un jeune homme qui marquait quelque chose de grand, il lui demanda, d?un air qui t?moignait beaucoup de surprise, d?o? il venait et quelle occasion l?avait amen?. Le roi Beder le satisfit en peu de mots, et le vieillard lui demanda encore s?il n?avait rencontr? personne en son chemin. ?Vous ?tes le premier que j?aie vu, repartit le roi, et je ne puis comprendre qu?une ville si belle et de tant d?apparence soit d?serte comme elle l?est. -Entrez, ne demeurez pas davantage ? la porte, r?pliqua le vieillard; peut-?tre vous en arriverait-il quelque mal. Je satisferai votre curiosit? ? loisir, et je vous dirai la raison pourquoi il est bon que vous preniez cette pr?caution?.