CCXII?me Nuit (Suite) Le roi Beder marqua au vieillard Abdallah, en des termes les plus expressifs, combien il lui ?tait oblig? de l?int?r?t qu?il prenait ? emp?cher qu?une magicienne si dangereuse n?e?t le pouvoir d?exercer sa m?chancet? contre lui; et, apr?s qu?il se fut encore entretenu quelque temps avec lui, il le quitta et retourna au palais. En arrivant, il apprit que la magicienne l?attendait dans le jardin, avec grande impatience. Il alla la chercher; et la reine Labe ne l?eut pas plus t?t aper?u qu?elle vint ? lui avec grand empressement. ?Cher Beder, lui dit-elle, on a grande raison de dire que rien ne fait mieux conna?tre la force et l?exc?s de l?amour que l??loignement de l?objet que l?on aime. Je n?ai pas eu de repos depuis que je vous ai perdu de vue, et il me semble qu?il y a des ann?es que je ne vous ai vu. Pour peu que vous eussiez diff?r?, je me pr?parais ? vous aller chercher moi-m?me. Madame, reprit le roi Beder, je puis assurer Votre Majest? que je n?ai pas eu moins d?impatience de me rendre aupr?s d?elle; mais je n?ai pu refuser quelques moments d?entretien ? un oncle qui m?aime et qui ne m?avait pas vu depuis si longtemps. Il voulait me retenir; mais je me suis arrach? ? sa tendresse, pour venir o? l?amour m?appelait; et de la collation qu?il m?avait pr?par?e, je me suis content? d?un g?teau, que je vous ai apport?.? Le roi Beder, qui avait envelopp? l?un des deux g?teaux dans un mouchoir fort propre, le d?veloppa, et, en le lui pr?sentant: ?Le voil?, madame, ajouta-t-il; je vous supplie de l?agr?er. -Je l?accepte de bon c?ur, repartit la reine en le prenant, et j?en mangerai avec plaisir, pour l?amour de vous et de votre oncle, mon bon ami; mais auparavant, je veux que, pour l?amour de moi, vous mangiez de celui-ci, que j?ai fait pendant votre absence. -Belle reine, lui dit le roi Beder en le recevant avec respect, des mains comme celles de Votre Majest? ne peuvent rien faire que d?excellent; et elle me fait une faveur dont je ne puis assez lui t?moigner ma reconnaissance.? Le roi Beder substitua adroitement ? la place du g?teau de la reine l?autre, que le vieillard Abdallah lui avait donn?, et il en rompit un morceau, qu?il porta ? la bouche. ?Ah! reine, s??cria-t-il en le mangeant, je n?ai jamais rien go?t? de plus exquis!? Comme ils ?taient pr?s d?un jet d?eau, la magicienne, qui vit qu?il avait aval? le morceau et qu?il en allait manger un autre, puisa de l?eau du bassin dans le creux de sa main, et, en la lui jetant au visage: ?Malheureux, lui dit-elle, quitte cette figure d?homme, et prends celle d?un vilain cheval borgne et boiteux.? Ces paroles ne firent pas d?effets, et la magicienne fut extr?mement ?tonn?e de voir le roi Beder dans le m?me ?tat et donner seulement une marque de grande frayeur.