CCXVI?me Nuit Quand les femmes esclaves se furent retir?es dans une chambre voisine, o? le jeune marchand les envoya, il s?assit sur le sofa o? ?tait Tourmente, mais ? certaine distance d?elle, pour lui marquer plus de respect. Il remit l?entretien sur sa passion, et dit des choses tr?s touchantes sur les obstacles invincibles qui lui ?taient toute esp?rance. ?Je n?ose m?me esp?rer, disait-il, d?exciter par ma tendresse le moindre mouvement de sensibilit? dans un c?ur comme le v?tre, destin? au plus puissant prince du monde. H?las! dans mon malheur, ce serait une consolation pour moi, si je pouvais me flatter que vous n?avez pu voir avec indiff?rence l?exc?s de mon amour! Seigneur, lui r?pondit Tourmente... -Ah! madame, interrompit Ganem ? ce mot de seigneur, c?est pour la seconde fois que vous me faites l?honneur de me traiter de seigneur! La pr?sence des femmes esclaves m?a emp?ch? la premi?re fois de vous dire ce que j?en pensais: au nom de Dieu, madame, ne me donnez point ce titre d?honneur, il ne me convient pas. Traitez-moi, de gr?ce, comme votre esclave. Je le suis, et je ne cesserai jamais de l??tre. -Non, non, interrompit Tourmente ? son tour, je me garderai bien de traiter ainsi un homme ? qui je dois la vie. Je serais une ingrate, si je disais ou si je faisais quelque chose qui ne vous conv?nt pas. Laissez-moi donc suivre les mouvements de ma reconnaissance et n?exigez pas, pour prix de vos bienfaits, que j?en use malhonn?tement avec vous. C?est ce que je ne ferai jamais. Je suis trop touch?e de votre conduite respectueuse pour en abuser, et je vous avouerai que je ne vois point d?un ?il indiff?rent tous les soins que vous prenez. Je ne vous en puis dire davantage. Vous savez les raisons qui me condamnent au silence.? Ganem fut enchant? de cette d?claration, il en pleura de joie, et, ne pouvant trouver de termes assez forts, ? son gr?, pour remercier Tourmente, il se contenta de lui dire que, si elle savait bien ce qu?elle devait au calife, il n?ignorait pas, de son c?t?, ?que ce qui appartient au ma?tre est d?fendu ? l?esclave?. Comme il s?aper?ut que la nuit approchait, il se leva pour aller chercher de la lumi?re. Il en apporta lui-m?me, et de quoi faire la collation, selon l?usage ordinaire de la ville de Bagdad, o?, apr?s avoir fait un bon repas ? midi, on passe la soir?e ? manger quelques fruits et ? boire du vin, en s?entretenant agr?ablement jusqu?? l?heure de se retirer. Ils se mirent tous deux ? table. D?abord ils se firent des compliments sur les fruits qu?ils se pr?sentaient l?un ? l?autre. Insensiblement l?excellence du vin les engagea tous deux ? boire; et ils n?eurent pas plus t?t bu deux ou trois coups, qu?ils se firent une loi de ne plus boire sans chanter quelque air auparavant. Ganem chantait des vers qu?il composait sur-le-champ et qui exprimaient la force de sa passion; et Tourmente, anim?e par son exemple, composait et chantait aussi des chansons qui avaient du rapport ? son aventure et dans lesquelles il y avait toujours quelque chose que Ganem pouvait expliquer favorablement pour lui. A cela pr?s, la fid?lit? qu?elle devait au calife y fut exactement gard?e.