«Certes, je n'ai pas réussi mon coup cette fois-ci, mais cela ne me dissuadera nullement à retenter ma chance!» Cette phrase, résumant on ne peut plus tragiquement le ras-le-bol de la jeunesse, est d'un harrag, Nabil, sauvé hier d'une mort certaine, alors que son âge ne dépasse pas la quinzaine. Il ne jure que par la récidive, lui qui a préféré abandonner ses études au lycée Ibn Badis d'Oran pour la plus hasardeuse des aventures… C'est l'équipage de l'unité lance-missiles 648, appartenant à la base navale de Mers El-Kébir, et celui des embarcations rapides relevant du commandement des gardes-côtes au port d'Oran qui ont réussi, hier matin, à sauver d'une mort certaine 23 candidats à l'immigration clandestine dont six mineurs. Les harraga ont été interceptés à deux miles au nord-ouest de Cap Falcon. L'alerte a été donnée à la plage de Cap Falcon, suite à des informations parvenues aux services de sécurité concernant 23 harraga qui se trouvaient dans une situation d'extrême détresse, à deux miles des côtes. Selon, les premières données, les jeunes aventuriers avaient pris le départ dans la nuit de mercredi dernier, depuis la plage des Andalouses. Un voyage qui n'a pas été jusqu'au bout et qui s'est transformé plutôt en cauchemar. Selon les premiers témoignages, le moteur du canot pneumatique à bord duquel ils étaient est tombé en panne et les vagues, qui ont atteint une hauteur impressionnante à cause des perturbations climatiques, ont failli les emporter. Une fois alertés, les gardes-côtes et les forces navales ont dépêché des embarcations de secours sur place. Quelques harraga dont l'état de santé était jugé critique ont été ainsi ramenés en urgence vers le port d'Oran. Les autres ont été embarqués à bord de l'unité lance-missiles 648. Selon les informations recueillies auprès des instances habilitées, ces candidats à l'émigration, examinés par des équipes médicales spécialisées, sont âgés de 15 à 45 ans et originaires d'Alger, Relizane et Oran. Leur grande majorité est issue d'une couche défavorisée. Parmi ces infortunés qui ont été miraculeusement sauvés, trois sont des jeunes scolarisés: deux dans le cycle moyen et le troisième est élève au lycée Ibn Badis d'Oran. Ils affirment avoir tous cotisé pour rassembler la somme nécessaire à l'achat de l'embarcation et ses équipements, soit la bagatelle de 115 millions de centimes. Le plus jeune de ces infortunés, Nabil, âgé de 15 ans, dira: «Je pensais avoir plus de chance que les autres dans cette aventure. Je me disais que les autorités espagnoles accorderaient un traitement spécial aux mineurs. Ceux-là, m'a-t-on dit, sont pris en charge jusqu'à ce qu'ils atteignent leur majorité. Je dois dire aussi que cela fait plus d'une année que j'ai commencé à planifier ce départ. Dommage que ça ait foiré. Certes, je n'ai pas réussi mon coup cette fois-ci, mais cela ne me dissuadera nullement de retenter ma chance.» Quant à l'aîné de ce groupe de harraga, le dénommé Fathallah, un ex-résident en Espagne, âgé de 44 ans, il dira, avec un ton plein d'amertume: «Je fais appel à la générosité et à l'humanité des Espagnols et des éléments de la Croix-rouge. Je veux retourner en Espagne uniquement pour voir mes trois enfants qui sont restés avec mon épouse espagnole. J'ai été expulsé à cause d'un conflit familial. Je suis aujourd'hui au bord de la dépression et sur le point de me suicider. J'ai l'impression d'avoir tout perdu et je me sens étranger dans mon pays.» Il y a lieu de souligner que le nombre de candidats mineurs à la harga, enregistré depuis le début de l'année en cours, est de 13 personnes, «dont une fille», comme le précise l'officier chargé de l'information auprès du commandement des gardes-côtes.