Les malades, restés handicapés suite à des erreurs médicales, et les proches de ceux qui ont perdu la vie du fait d'une négligence, d'un diagnostic erroné ou d'une défaillance dans l'application du protocole opératoire, n'hésitent plus à dénoncer les médecins auteurs d'interventions malheureuses qui se sont soldées par un lourd handicap physique ou psychologique quand le patient a eu la «chance» d'échapper à la mort. Un bilan fait ressortir qu'en décembre 2009, quelque 650 plaintes au niveau national ont été déposées par des patients, en Algérie, contre des médecins. Ce chiffre ne signifie, nullement, que seules 650 erreurs médicales auraient été commises dans les établissements de santé algériens. Bien au contraire, ce dernier pourrait être multiplié par 2, 3 voire 5, si ce n'est plus, si tous les abus, erreurs, dépassements, refus d'assistance à un malade et autres comportements bureaucratiques qui ont eu pour conséquence la mort du patient, sinon son handicap, ont été l'objet de dénonciations et d'actions en justice. Ces dernières années, les erreurs médicales –qui constituent une atteinte grave à la santé des citoyens- prennent, de plus en plus, d'ampleur. La timidité des chiffres s'explique par la fatalité et le sentiment religieux derrière lesquels se réfugiaient et les familles et les victimes, elles-mêmes, qui acceptaient une sentence divine, El Mektoub. Aujourd'hui, et face à la multiplication des erreurs et au comportement arrogant de certains praticiens et établissements dont les prestations «brûlent», les Algériens acceptent de moins en moins de se taire. 650 plaintes et 50 médecins emprisonnés Le chiffre de 650 plaintes a été avancé, le mois dernier, par le Dr. Mohamed Berkani Bekkat, président du conseil de l'Ordre des médecins, lors d'une rencontre-débat tenue à l'hôtel Hilton en présence des membres du conseil et du Dr. Bourkaïb, directeur de la sécurité sociale. Prenant fait et cause pour ses confrères, le Dr. Bekkat avait plaidé pour la dépénalisation de l'acte médical et souhaite, outre le fait que le médecin ne doit pas être emprisonné, que le praticien soit préalablement consulté lorsque la justice est appelée à statuer sur des affaires liées aux erreurs médicales. Le Dr. Bekkat, accusé de corporatiste, pense que le Conseil a un droit de regard sur ce qui se passe et a le droit d'étudier toutes les plaintes déposées par les citoyens contre les médecins. De son avis, les victimes d'erreurs médicales gagneraient à saisir le conseil de l'Ordre des médecins qui est habilité à établir l'expertise médicale pour déterminer la responsabilité médicale et, ainsi, décider de l'ouverture d'une enquête et porter l'affaire devant la justice. 50 médecins ont été emprisonnés, ces dernières années. Le médecin n'est pas un délinquant. Et le malade? Si le Docteur Bekkat défend les médecins avec conviction, déclarant que «le médecin n'est pas un délinquant ou un criminel et qu'il est important de faire le distinguo entre les erreurs médicales et les fautes médicales», «le malade n'est pas un cobaye sur lequel on peut s'amuser à faire des expérimentations», comme tiendra à le souligner un malade qui a perdu ses capacités motrices du fait d'un fait diagnostic. «Les sanctions de l'Ordre des médecins ne se limitent qu'à des avertissements ou des blâmes, j'ai perdu mon épouse lors d'un accouchement. Y a-t-il justice?» dira un citoyen qui vient, effectivement, de perdre son épouse, il y a quelques jours. L'Ordre des médecins a recensé, en un peu plus de trois années, environ 200 cas de fautes médicales avérées. Ce chiffre est contesté par «SOS erreurs médicales» qui évoque plus de 500 cas pour la période considérée. En effet, des dizaines d'accouchements, d'interventions médicales et chirurgicales et des transferts mal pris en charge tournent au drame, qu'il s'agisse de structures relevant du secteur public ou privé. Ces erreurs sont souvent les résultats d'interventions en chirurgies orthopédique et digestive, et de problèmes liés à la gynécologie, l'obstétrique, la cancérologie, l'anesthésie, la réanimation, à un arrêt cardiaque durant une intervention chirurgicale, ou d'une septicémie pour cause de non-respect des règles d'asepsie, et de complications parfois mortelles suite à certains traitements. Angoisse et détresse des victimes Des enfants, des femmes, des personnes âgées ont été victimes d'erreurs médicales. Certains en sont morts, d'autres sont aveugles et beaucoup d'autres encore sont paralysées pour le restant de leur vie. Les personnes devenues aveugles ou les paralysées ont perdu tout espoir et n'ont plus aucun avenir. Les familles de ces victimes souffrent, elles aussi. La plupart des citoyens ignorent les procédures judiciaires et administratives. Et même lorsque des affaires sont portées devant la justice, rares sont celles qui aboutissent à une condamnation ou à un dédommagement. Si des familles acceptent le sort qui leur a été réservé en mettant tout sur le compte du destin, d'autres estiment, cependant, qu'il n'est pas question de se laisser faire face à la cupidité de certains praticiens et responsables administratifs. Ainsi, des affaires sont actuellement devant les tribunaux après les expertises médicales et les auditions par les autorités sanitaires de déontologie. Ce qui fait le plus mal, selon de nombreuses familles, c'est que des médecins qui travaillent dans des cliniques privées réclament de l'argent, même après avoir commis une erreur médicale. Enceinte de jumeaux, un seul a été détecté… Qu'elle soit le fait de diagnostics erronés, dus à des structures de santé vétustes, de prises en charge défaillantes ou le produit d'une incompétence, l'erreur médicale ne passe plus sous silence. Une dizaine de plaintes sont enregistrées chaque mois et un tiers d'entre elles sont jugées recevables. Ces données, mises à jour, ont été communiquées par le docteur A., membre du Conseil de l'Ordre des médecins. Grâce à l'action des médias, le débat est, aujourd'hui, porté sur la place publique alors qu'il y a quelques temps à peine, il était tabou et passait, donc, sous silence. Plusieurs cas avaient vu le jour. Le drame de l'hôpital de Sidi Aïch, dans la wilaya de Bejaïa, quand une femme enceinte de jumeaux avait été diagnostiquée porteuse d'un seul bébé. Les deux nourrissons périront. L'affaire de la circoncision au Khroub où des enfants ont été affreusement mutilés, à Annaba avec le décès de 7 nourrissons, à Oran quand quatre patients décédèrent à cause d'une sombre affaire de climatisation, l'affaire de la petite Fatima Lahour, d'Oran également, qui a été amputée d'un bras du fait d'une injection alors qu'elle était venue se soigner pour un mal de dos. Les exemples sont légion. Selon les enquêtes menées par le ministère de la Santé, il y aurait 200 décès pour 100.000 naissances en Algérie. Au Sud du pays, il est enregistré en moyenne 300 décès pour 100.000 naissances vivantes. La mortalité maternelle prend des allures de tragédie. 700 femmes décéderaient chaque année suite à des complications survenues durant l'accouchement ou lors de leur grossesse. Le professeur Djamil Lebane en donne une parfaite illustration: «Si deux femmes -une Algérienne et une Occidentale- perdent la même quantité de sang suite à une hémorragie après accouchement, la femme algérienne risque la mort alors que l'Occidentale sera à 99% sauvée». Sans commentaire !