Abdelkader SAHRAOUI : Chapitre IV : La résistance armée L'occupation militaire du pays ne rompit en rien la résistance algérienne. En 1869, Mac-Mahon écrivait au ministre Randon : « Le pays est dompté mais nullement soumis… Même en 1845 où l'insurrection est grave, l'esprit des populations nous était moins hostile qu'il ne l'est aujourd'hui… Un revers de notre part sur un point quelconque entraînerait un soulèvement presque général. La cause principale de cet état de choses est selon moi dans le mécontentement qu'éprouvent toutes les grandes familles du pays en voyant chaque jour leur influence décliner… Elles feraient appel aux sentiments les plus capables d'émouvoir les populations et les soulèvements au nom de la religion et de l'indépendance. » La résistance continua à être menée, bien que sans coordination, par Bou Baghla en Kabylie, par les Ouled Sidi cheikh dans le Sud-Ouest et par El Mokrani à l'Est et en Kabylie. « Hormis l'année 1861, il ne se passe pas un an sans que le feu reprenne à une extrémité ou une autre de l'Algérie. » (Lacoste, Noushi et Prenant, L'Algérie passé et présent) Même un intellectuel laïc comme Mostefa Lacheraf est obligé d'accorder une part dans la résistance à la culture islamique, tout en ajoutant que l'empreinte d'une « mentalité de terroir » a été décisive : « On a souvent dit que la culture des hommes de 1871 – comme celle de 1830 – était d'essence religieuse : c'était vrai dans un certain sens. Mais cette culture a eu le pas sur la religion conformiste et de simple credo, grâce à la curiosité et au tempérament des siens. Ces talebs-combattants, ces chefs de guerre, ces agents congréganistes, ces cadis, ces hommes du peuple, ne travaillaient pas, uniquement, pour un ordre spirituel, mais parce que les connaissances peut-être réduites qu'ils avaient, une foi sans trop de subtilités inutiles, l'alphabet qu'ils détenaient (la langue arabe, souvent mitigée et populaire, comme du temps de l'Emir, s'écrivait partout, et de nombreux paysans pratiquaient encore l'écriture) : tout cela les poussait à défendre, à comprendre une société rurale dont ils n'étaient jamais séparés par l'esprit et les préoccupations, ni par les vie. » (Lacheraf, Paysannerie, colonialisme et révolution, El Moudjahid n° Spécial, juin 1971). En vérité, c'est méconnaître le caractère global de l'inspiration islamique qui meut les combattants, lesquels n'ont nul besoin d'user des circonvolutions maniées par les analystes en quête de « modernité » et embarrassés devant le regard accusateur de l'Occident. Chapitre V : La résistance passive En 1871 fut instaurée une paix coloniale, soutenue par une suprématie militaire du régime colonial français. Les révoltes des tribus déjà mentionnées permirent à l'administration française de mettre en œuvre, à la faveur des colons européens, la politique systématique de division et de cantonnement prônée depuis 1845. Les effets de cette politique, joints aux pertes en vies humaines, provoquèrent la paupérisation des paysans algériens, rendant ainsi longtemps impossible des manifestations de résistance active : « … Si, en 1847, les Français avaient détruit les structures supérieures de la société algérienne, en 1871 la législation et l'économie avaient fait éclater les structures intermédiaires. (…) L'individu algérien, en dehors de son foyer, est virtuellement seul et sans défense devant ses nouveaux maîtres : c'était bien là la fin de tout le processus. Désormais et pendant cinquante ans, le seul devoir sera de renir. » (A. Laoroui, L'histoire du Maghreb). De 1871 jusqu'à la Première guerre mondiale, il n'y eut plus de révolte armée notable. Le peuple algérien développa une nouvelle forme pour sauvegarder ses valeurs, la résistance passive, et chercha à protéger son identité formulée dans la langue et la religion contre les envahisseurs (Y. Turin, Affrontements culturels dans l'Algérie coloniale). D'autre part, des Algériens tentèrent de récupérer une partie de leurs terres dans le respect des nouvelles règles juridiques du système colonial : « … Le nombre des paysans sans terre, condamnés par le nouveau système économique à le rester indéfiniment, augmentait sans cesse et atteignait la proportion de 50% en Algérie vers 1930. Cela n'était bien sûr qu'un côté de la médaille, l'autre, c'était la consolidation d'une classe moyenne de propriétaires maghrébins, encouragés ouvertement par l'administration française et qu'aucune obligation coutumière (‘ada) ne liait plus aux paysans dépossédés. … En Algérie, 60 000 ha furent rachetés aux colons en 1912 dans la région de Constantine par des Algériens qui n'étaient évidemment pas de petits paysans. De 1921 à 1925, les Français rachetaient 135 000 ha aux Algériens, et les Algériens 114 000 ha aux Français. En 1930, 1% des Algériens possédaient plus du 1/5 de la terre algérienne (propriété française exclue)… » (A. Laroui, L'hist. Maghreb, M. Lacheraf, Nation et société). Une fois assurée la victoire militaire, les maîtres coloniaux voulurent installer les instruments de leur administration et de leur puissance économique. Durant cette étape fut concrétisée l'intention déjà formulée par le général Bugeaud en 1842 : « Par une circonstance heureuse, qui peut-être n'a pas été encore assez remarquée, l'Algérie aura longtemps à demander les objets manufacturés que produit la France, tandis qu'elle pourra lui fournir en abondance les matières premières nécessaires à l'industrie de la métropole. Mais… avant que le colon puisse demander au sol de l'huile, la soie, le tabac, le coton, le liège etc., avant que l'Arabe puisse nous apporter des huiles plus communes, des peaux, des grains, des bestiaux, du kermès, des cires, des laines et les autres produits de l'intérieur de l'Algérie, il faut que la domination soit conquise par la force et maintenue par la politique » (Bugeaud, L'Algérie, des moyens de conserver et d'utiliser cette conquête). Le modèle économique algérien avant l'emprise française ainsi que les transformations imposées par le système colonial ont été magistralement décrits et analysés. (Julien, Histoire de l'Algérie contemporaine). C'est la motivation néo-mercantiliste qui prévalait dans la conquête de l'Algérie : « Il faut des colonies pour procurer à la France des denrées qui sont devenues des objets de première nécessité et ne pas la rendre tributaire des étrangers. Il en faut pour y importer des produits de notre sol et de notre industrie car avec le système prohibitif qui s'introduit dans tous les Etats de l'Europe, avec les progrès que chacun d'eux fait dans les arts et les manufactures, bientôt les différents peuples n'auront rien à se fournir les uns aux autres. Le commerce extérieur sera tiré par les progrès même du commerce et de l'industrie. » (Le député Cotton à la Chambre des députés, mars 1817). Le commerce colonial, par les débouchés sûrs qu'il proposait, devait constituer le moyen clef pour l'enrichissement de la métropole : « Si nous voulons conserver à notre race et à notre langue leur rang légitime dans le monde, colonisons. Si nous voulons maintenir notre commerce et notre industrie, lutter contre la concurrence étrangère et ne point périr de pléthore, colonisons encore, car le besoin de nouveaux débouchés ne s'est jamais fait sentir aussi impérieusement (…). A nous de savoir si nous voulons lutter avec les instruments modernes dont le plus utile de tous est la politique coloniale, ou si nous voulons abdiquer, et l'on ne s'y trompe point, en matière économique, l'abdication c'est la mort. » (P. Théodore-Vibert in la concurrence étrangère cité par Ageron). Chapitre VI : Résistance à la politique française d'assimilation « Il faut placer l'indigène dans l'étroite nécessité de s'assimiler ou de disparaître. » (Paul Bert, président de la société protectrice des colons cité par Ageron). Que ce soit par calcul politique ou par « charité civilisatrice » (car, comme le souligne Henri Brunschwig, « On n'est pas consciemment hypocrite… Ce serait ne rien comprendre à l'impérialisme colonial que de le présenter comme la curée de capitalistes avides de riches territoires et de populations sans défense. L'impérialisme colonial, comme le nationalisme dont il procéda, fut une vertu. »), la théorie française d'assimilation marqua un succès par la loi du 4 février 1919 : les détenteurs français du pouvoir accordaient la nationalité française à l'élite algérienne et par là espéraient neutraliser un danger nationaliste possible. (Cette assimilation apparaissait déjà dans les rapports du ministre de l'Algérie et des Colonies en 1858 : « Nous sommes en présence d'une nationalité armée et vivace qu'il faut éteindre par l'assimilation. » (Ageron). Ces initiatives françaises étaient devenues inévitables, surtout avec la participation active des Algériens à la Première guerre mondiale et la pénétration chez ces Algériens de la culture française et de l'idéologie républicaine de 1789. (M. Kaddache, La vie politique à Alger de 1919 à 1939). Les objets de cette politique d'assimilation ne songeaient pas cependant à renoncer à leur personnalité arabo-islamique au profit de l'assimilation (celle-ci équivalait à l'apostasie). L'adoption de l'idéologie républicaine française n'était nullement ambivalente pour ceux qui retrouvaient la source intellectuelle de la Révolution française de 1789 dans le Coran. (Zikria Niaz Ahmed, Les principes de l'islam et la démocratie). S'ils utilisaient la langue française comme moyen de communication, ils demeuraient conscients qu'elle leur est étrangère. Cette interprétation diamétrale demeurera une constante des relations franco-algériennes jusqu'à l'indépendance. Lire le dossier au complet : Abdelkader SAHRAOUI : Islam et Libération de l'Algérie