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A T'kout, au cœur des Aurès, personne n'a oublié la chahida Rokia Masmoudi
Publié dans Algérie Presse Service le 31 - 10 - 2011

BATNA - Parsemée de faits d'armes et d'actes héroïques du peuple algérien pour se libérer du joug colonial, la Révolution de Novembre 54 est aussi constellée d'épisodes poignants et douloureux, moins connus, certes, mais révélateurs de l'existence de forces d'âme hors du commun dans l'Algérie profonde.
A une centaine de km au Sud-Est de Batna, T'kout, un petit village de montagne est lové dans l'un des encaissements rocailleux de la vallée arrosée par l'oued Ighzer Amellal, en amont des gorges de Ghoufi.
Ici, lorsqu'un moudjahid est invité à parler de son passé de maquisard, ses pensées vont, immanquablement, vers l'évocation de la chahida Rokya Masmoudi. Par son héroïsme, ses sacrifices et son engagement aux côtés de son époux, feu le moudjahid Belkacem Djarallah, Rokya était en fait devenue, pour tous les combattants et aussi pour les jeunes générations, le symbole de l'engagement patriote de toute la région, avant et après le 1er Novembre 1954.
Tous les témoins interrogés par l'APS préfèrent taire leur glorieux passé pour mettre en avant cette "pasionaria de l'Atlas" dont l'histoire occupe, dans cette région austère, une place de premier plan dans la mémoire collective.
C'est le moudjahid Mohamed Sahraoui qui a tenu à retracer succinctement la vie de Senoussi Rokya, son aînée de cinq ans, née en 1926, vivant entre Taghit en hiver et le Douar Djarallah en hiver.
Femme remarquable autant par son caractère que par son physique imposant, elle épouse en 1952 Belkacem Djarallah, artisan bijoutier et futur armurier de l'ALN qu'elle n'hésite pas à suivre au maquis en 1957, avec ses deux garçons, Mohamed né en 1954 et Tahar né, lui, en 1957.
Pourchassée, la famille s'est réfugiée dans une grotte
En 1960, elle met au monde une fille prénommée Saliha qui périra avec elle, l'année suivante, des suites du napalm largué par l'aviation coloniale sur leur cache où ils ont été repérés. Les deux garçons, Mohamed et Tahar, étaient dans la grotte encerclée par l'armée française, lorsque leur mère et leur petite sœur sont mortes, étouffées par l'inhalation de gaz mortels.
Mohamed qui avait sept ans à la mort de sa mère et de la petite Saliha, se souvient de cet évènement qui fit de lui, un homme accompli, alors que dans une vie plus ordinaire, il avait à peine l'âge d'aller à l'école et de jouer aux billes avec ses camarades.
Mohamed et Tahar sont restés trois jours dans la grotte, aux côtés de leur maman et de la petite Saliha, mortes toutes les deux, avant que les moudjahidine ne les retrouvent. Pendant toutes ces journées et ces longues nuits, Mohamed n'avait que des poignées de blé à faire griller pour calmer la faim de son frère cadet.
La résurrection du "bébé-martyr"‘
Toute sa vie, Mohamed se souvient d'une voix étranglée qu'au chevet de sa mère mourante, il voulut lui faire boire du lait qu'elle refusa d'un signe de la tête. Lorsqu'un peu plus tard elle redemanda à boire, il avait déjà bu le quart de lait qui restait. "Le remord me poursuit encore", soupire-t-il en racontant cette triste fin.
En 1958, pourchassés par l'armée française, Rokya Masmoudi, ses enfants, son mari et d'autres moudjahidine se sont cachés à l'étroit dans une petite grotte sous un rocher. Un chien tenu en laisse s'acharnait à griffer le sol pour découvrir les fuyards qui devaient rester silencieux au risque d'être capturés et fusillés sur le champ.
"Rokya tenait le petit Tahar dans ses bras", poursuit Mohamed. Comme il avait pris froid, elle lui mettait de temps en temps une pincée de sucre dans la bouche. Le chien creusait le sol. Par une fente qui s'ouvrait devant leurs yeux comme un soupirail, ils apercevaient les godasses des militaires.
Lorsque la provision de sucre vint à s'épuiser, Rokya, en proie à une lutte intérieure entre sa détermination de combattante et son instinct maternel, se résout à mettre sa main contre la bouche du bébé pour l'empêcher de crier et de signaler leur présence.
De longues minutes passent. L'enfant ne bouge plusà Quand enfin les militaires s'en allèrent, convaincus qu'il n'y avait pas de "fellagas" dans le trou, l'enfant inerte était tout bleu. Pour tous, il était mort.
La belle-sœur de Rokya, Keltoum Djarallah, encore de ce monde, arrivée avec des moudjahidine, peu de temps après le départ des soldats, lance un youyou pour saluer l'âme du "bébé chahid". A ce moment précis, comme par miracle, le petit Tahar revient à la vie. Il vit aujourd'hui à Batna où il gère un atelier d'artisan mécanicien.
Comme la Kahina et Lalla Fatma N'soumer
Ainsi vécut et mourut la moudjahida, Rokya Masmoudi. Une des légendes des Aurès en lutte. Ceux qui connaissent son histoire n'hésitent pas à la placer au rang de la Kahina ou de Lalla Fatma N'soumer.
Après ce récit sur la vie de Rokya Masmoudi, le moudjahid Mohamed Sahraoui Djarallah explique pourquoi elle reste un symbole dans cette société de rudes montagnards, fiers de leur histoire de résistants face à l'occupant étranger.
"Ici la résistance au colonisateur tient d'une tradition conservée sans discontinuité par les familles, depuis la révolte de Mohand Ameziane Djarallah, en 1879, qui avait levé les Beni Bouslimane et les Touaba contre la tyrannie des caïds locaux, au service de la colonisation", poursuit Si Sahraoui qui ajoute que l'écrasement de la révolte de Mohand Ameziane Djarallah a été suivie durant des décennies par une surveillance étroite imposée dans toute la région, où le zèle des auxiliaires de l'administration française alternait exactions, arbitraire et dîmes ruineuses pour ses pauvres fellahs.
Voilà pourquoi, explique Mohamed Sahraoui, cette région a toujours été un foyer de révolutionnaires. "A la veille de la 1ère guerre mondiale, au moment où tout l'Aurès, de Belezma, à Khenchela et Ain M'lila, était en proie à une révolte contre la conscription obligatoire, pendant que les insurgés incendiaient l'état civil, ces montagnes étaient déjà le refuge du célèbre "bandit d'honneur", Messaoud Benzelmat, sublimé dans la complainte populaire qu'interpréta de façon inimitable, le barde des Chaouias, Aissa El Djarmouni", explique-t-il encore.
Mohamed Sahraoui ajoute aussi que pendant la seconde guerre mondiale, d'autres "bandits d'honneur" ont pris la relève de Messaoud Benzelmat. Ils ont pour nom Sadek Chebchoub, dit "Gauzer", monté au maquis avec sa femme armée, Grine Belkacem, Mostefa Reaâili, Aissi Mekki, Messaoud Benzelmat, le second du nom, et d'autres encore.
Le commencement de la fin de tous les asservissements
Le moudjahid rappelle que cette deuxième génération de "bandits d'honneur" avait, grâce à Mostefa Ben Boulaid, fait la jonction avec le mouvement national et les militants indépendantistes, en particulier les "clandestins" réfugiés dans les Aurès après la découverte en mars 1950 de l'Organisation Spéciale (l'OS), branche armée du parti PPA-MTLD.
C'est grâce à cette protection que les "clandestins" qui ont échappés à la répression, pourront porter la Révolution du 1er Novembre 1954 dans d'autres régions du pays, souligne le moudjahid Sahraoui qui sera arrêté en juillet 1955, à la tête d'un groupe de combattants dans la région de Bordj Bou Arreridj, appelés pour desserrer l'étau qu'exerçait l'armée coloniale sur les moudjahidine des Aurès.
Condamné à mort, Mohamed Sahraoui restera dans les geôles des forces coloniales jusqu'à l'indépendance. Ainsi a été recueillie cette facette de la mémoire collective, une histoire vive qui dit les souffrances d'un peuple, édifiante quant à la cruauté de l'armée française aveuglée, ne distinguant ni homme, ni femme, ni enfant, éloquente quant au courage des maquisards, dans les Aurès et partout en Algérie, mais qui, surtout, en dit long sur la foi qui rendit possible le déclenchement du 1er Novembre 1954.
C'était le commencement de la fin de l'asservissement d'un peuple fier et altier, comme les monts des Aurès.


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