Les pourparlers sur la Syrie à Genève s'annoncent difficiles, la délégation de l'opposition campant sur ses positions même si elle est pressée par l'ONU d'entrer dans des discussions indirectes avec le gouvernement pour mettre fin au conflit qui déchire la Syrie depuis 2011. Des représentants des protagonistes de la crise étaient à Genève dimanche, mais à peine arrivée samedi soir, la délégation du principal groupe de l'opposition, qui avait hésité pendant quatre jours de réunion à Ryadh (capitale saoudienne) avant d'accepter de venir en Suisse, sous la pression internationale, notamment des Etats-Unis, a prévenu qu'elle quitterait les discussions si ses conditions n'étaient pas prises en compte. "Nous n'entrerons pas dans les négociations avant l'annonce de décisions qui garantiront la levée des sièges et l'arrêt des bombardements des civils", a répété un porte-parole du Haut comité des négociations (HCN, opposition), Riad Naasan Agha, à son arrivée. Il a également mentionné comme condition la libération de détenus, dont l'opposition a commencé à dresser une liste. Le groupe d'opposition, qui a boycotté l'ouverture de pourparlers de paix vendredi, a dépêché trois émissaires en Suisse, mais "sans mandat de négociateur". Les membres de cette délégation sont Salem al-Meslet, Monzer Makhous, Naasan Agha, qui figurent parmi les porte-parole du HCN. Plusieurs responsables de l'opposition ont expliqué que la décision de participer aux pourparlers de Genève avait été prise après avoir obtenu des garanties sur l'application des mesures humanitaires prévues par la résolution 2254. La délégation du HCN, composée de politiques et de représentants des groupes armés sur le terrain, doit s'entretenir dimanche avec l'émissaire de l'ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, aux manettes depuis 2014, après l'échec d'un précédent round de négociations intersyriennes en Suisse. Le diplomate italo-suédois, qui a déjà échangé vendredi avec une délégation du gouvernement de Damas, espère amener la délégation du gouvernement et celle de l'opposition à entrer dans un processus de discussions indirectes, avec des émissaires faisant la navette entre les deux. Question du terrorisme et sort d'al Assad La délégation du gouvernement syrien, arrivée dès vendredi à Genève et menée par l'ambassadeur syrien à l'ONU Bachar al-Jaafari, ne s'est pas exprimée en public. Les représentants du gouvernement ont rencontré M. de Mistura pendant deux heures vendredi, et selon ce dernier, ont "soulevé la question du terrorisme". La Syrie est devenue avec la guerre une "terre de jihad", et la menace terroriste est pour la communauté internationale incarnée par le groupe Etat islamique (EI). Mais pour le gouvernement syrien, tous les rebelles sont considérés comme des terroristes. C'est sur cette question qu'avaient déjà échoué les pourparlers de Genève en 2014, le gouvernement syrien faisant de la lutte contre le "terrorisme" sa priorité. Par ailleurs, le sort du président Bachar al-Assad, dont l'opposition et ses soutiens (de pays du Golfe) réclament le départ au début du processus de transition, ne peut évidemment pas faire l'objet de discussions pour des représentants mandatés par le président syrien. Pour leur part, les grandes puissances, directement touchées par les répercussions du conflit syrien, menace terroriste et crise des réfugiés, espèrent que les Syriens parviendront à s'entendre. Mais l'ampleur du fossé séparant les deux parties et leurs alliés suscite peu d'espoirs à court ou moyen terme, selon les observateurs. La question des Kurdes à l'affiche Des responsables kurdes qui se trouvaient à Genève pour prendre part aux discussions sur la Syrie, ont finalement quitté la Suisse, l'ONU ayant renoncé à les convier, ont indiqué samedi des sources kurdes. Le chef du principal parti kurde syrien PYD, Saleh Muslim, et ses conseillers, arrivés la semaine dernière à Genève, sont partis vendredi soir, selon une de ces sources. "Sans nous, le processus (de Genève) connaîtra le même sort que les précédentes discussions", a ajouté cette source, en référence à l'échec de discussions intersyriennes en 2014 en Suisse. Ilham Ahmad, co-présidente du Conseil démocratique syrien (CDS), une alliance d'opposants kurdes et arabes, a également indiqué avoir quitté la Suisse, faute d'invitation aux discussions. La participation ou pas des Kurdes aux négociations intersyriennes avait suscité une controverse. La Russie a estimé qu'aucune négociation ne pourrait donner de résultats sans eux, tandis que la Turquie a jugé leur présence inacceptable. Le PYD est en pointe dans la lutte contre le groupe terroriste autoproclamé "Etat islamique" (EI/Daech) dans le nord de la Syrie, mais il est considéré par Ankara comme une émanation du PKK (parti des travailleurs du Kurdistan), interdit en Turquie et classé organisation terroriste par la Turquie. Les Etats-Unis soutiennent le bras armé du Conseil démocratique syrien (CDS), alliance d'opposants arabes et du PYD, dans sa lutte contre Daech. Le processus de Genève s'annonce long et complexe Le processus de Genève a été lancé vendredi soir lors d'une "réunion préparatoire" entre l'émissaire de l'ONU Staffan de Mistura et des représentants du gouvernement syrien. Les négociations sont prévues pour durer six mois et doivent se dérouler de manière indirecte, c'est-à-dire que les différentes délégations seront dans des pièces distinctes et que des émissaires feront la navette. La résolution 2254 de l'ONU, adoptée en décembre, qui fixe un cadre aux négociations, demande l'accès aux populations assiégées et l'arrêt des attaques contre les civils. Elle pose ensuite comme objectif la conclusion de cessez-le feu, la mise en place d'une autorité de transition et des élections d'ici mi-2017. "Nous sommes au devant de négociations difficiles, il y aura des déceptions", a estimé samedi le chef de la diplomatie allemande Frank-Walter Steinmeier. Le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et son homologue américain John Kerry ont convenu lors d'un entretien téléphonique samedi "d'évaluer les progrès" le 11 février des discussions inter-syriennes lors d'une rencontre à Munich, en Allemagne, selon un communiqué du ministère russe des Affaires étrangères. L'enjeu des discussions est d'enclencher un processus pour mettre fin au conflit qui a fait plus de 260.000 morts et forcé des millions de Syriens à quitter leur domicile depuis mars 2011.