Une ambiance électrique prévalait vendredi à l'Assemblée nationale française où les députés planchent depuis mardi sur le projet de loi sur l'immigration, l'intégration et la nationalité qui ne fait pas l'unanimité tant auprès de l'opposition que dans les rangs de la majorité. La gauche qui dans son ensemble est opposée à ce projet, a annoncé qu'elle se battrait becs et ongles pour faire passer les 500 amendements déjà déposés sur les 90 articles. Pour elle, il s'agit purement et simplement d'"un projet anticonstitutionnel". La député socialiste de Paris Sandrine Mazetier a estimé que le projet marquait "un recul de l'Etat de droit" et "rompt l'égalité républicaine devant la loi en créant trois catégories, les français de souche, les naturalisés et les étrangers". Elle évoque notamment l'amendement tant décrié sur la déchéance de la nationalité des personnes naturalisées depuis moins de 10 ans lorsqu'elles ont causé la mort d'un dépositaire de l'autorité publique, et adopté tard dans la soirée de jeudi par 75 votes favorables sur 132 votants, soulignant qu'il constitue une "atteinte à la constitution qui proclame l'égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction d'origine". Cependant, cet amendement devra encore franchir l'obstacle du Conseil constitutionnel qui, au nom du principe d'égalité devant la loi, n'a jusqu'à présent autorisé la déchéance de nationalité que pour des faits qualifiés de terroristes, estime-t-on de sources proches du dossier. Le texte en question est très contesté au-delà même des rangs de la gauche. Ainsi, Nicole Ameline député de l'Union pour la majorité parlementaire (UMP-majorité), a déclaré qu'elle ne voterait pas le texte "en l'état", car "il fait une place trop large à la répression". De même pour Etienne Pinte, député UMP qui a franchement averti qu'il voterait contre le projet de loi. "Je ne peux pas voter un texte dans lequel on envisage la déchéance de la nationalité française", a-t-il expliqué, en estimant que le projet voulait "draguer l'électorat du Front national". Des associations de défense de droits de l'homme opposées au projet et quelque 45 mouvements et organismes chrétiens se sont réunis mardi devant l'Assemblée à l'ouverture des débats pour remettre à chaque député une lettre portant un appel collectif " ne laissons pas fragiliser le droit de l'étranger". Le nouveau projet de loi comporte plusieurs mesures très contestées par les associations. Outre la déchéance de nationalité, il comprend aussi l'allongement de la durée maximale de rétention en vue d'une expulsion de 32 à 45 jours, et la création de zones d'attentes de groupes d'étrangers en dehors d'un point frontalier, amendement qui a été également adopté la veille par les députés. A ces mesures, s'ajoute la volonté du gouvernement de restreindre l'accès à la justice dans la procédure d'expulsion. Le droit d'asile existe et il est reconnu à ceux qui sont persécutés ou risquent leur vie dans leur pays d'origine. Mais il leur sera de plus en plus difficile d'entrer sur le territoire pour demander à bénéficier de ce droit, soulignent les détracteurs du texte. Le projet prévoit aussi de réprimer l'abus "du droit au court séjour (moins de trois mois) par des allers-retours successifs". Cette mesure vise implicitement les Roms, ressortissants européens, qui pourraient alors se voir contraints de quitter le territoire, estime-t-on. De même pourraient être éloignées les personnes qui pourraient représenter " une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale", une disposition qui se traduira par un contrôle accru de l'aide médicale d'Etat. Dans la série des amendements proposés par la majorité, figure justement celui du député UMP Thierry Mariani et voté le 15 septembre en commission des lois et qui vise à supprimer le droit au séjour des étrangers gravement malades vivant en France. Un collectif composé de plusieurs associations qui militent pour le droit des étrangers à la santé, ont dénoncé cet amendement et rappelé qu'en 1997, la "loi Debré" avait intégré dans la législation française la protection des étrangers gravement malades contre l'éloignement du territoire. L'année suivante, la "loi Chevènement" renforçait cette protection grâce à la délivrance de plein droit d'une carte de séjour temporaire. Ce droit au séjour est conditionné ainsi : l'étranger, gravement malade, vivant en France ne doit pas "effectivement bénéficier du traitement approprié dans son pays d'origine", "L'esprit de la loi, rappelé le 7 avril 2010 par le Conseil d'Etat, est donc de faire en sorte qu'un étranger gravement malade et sans accès effectif aux soins dans son pays d'origine soit protégé de l'expulsion et puisse avoir accès aux soins en France dans des conditions de vie stables pour éviter la mort prématurée ou la survenue de graves complications ou de handicaps dans un pays où il ne pourrait pas être soigné", ont souligné ces associations. Si l'amendement était appliqué à la lettre, une grande partie des étrangers gravement malades seraient renvoyés hors de France "sans qu'on se préoccupe de leur sort" affirme, Marie Hénoch de l'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE).