Voici, enfin, en ma possession le Grand traité sur la musique, d'Abu Nasr Al Farabi (874-950), après maintes recherches dans les bibliothèques universitaires et auprès des amoureux du livre sans compter le salon annuel du livre. Je me sens vraiment dans la peau d'Archimède criant « Eurêka », après avoir découvert la loi de la pesanteur spécifique des corps. Toutefois, ce maître-livre qui n'a d'égal dans toute l'histoire de la musique arabe que celui des Adwars de Safi Eddine Al Urmawi (1216-1294), ne s'est pas installé dans ma bibliothèque en forme de support imprimé, mais en langage électronique, entendez sur le disque dur de mon ordinateur. Sincèrement, j'aurais aimé le toucher et, bien sûr, le voir car, à mes yeux, il n'y a pas plus beau dans cette existence qu'une rangée de livres. Pour l'instant, ce n'est pas tant le livre, en lui-même, qui capte mon attention, c'est plutôt la manière de penser et, surtout, de se comporter de ce philosophe ayant tâté de la logique dans ses différentes chaînes de ramifications. En effet, Al Farabi, en philosophe idéaliste, mais, profondément logique, ne pouvait pas se démentir dans sa vie quotidienne. Certes oui, il appliquait à la lettre les enseignements contenus dans son fameux traité Opinions des habitants de la Cité vertueuse. Ce qui appartient à la collectivité sociale lui demeure, en principe, acquis à tout jamais. On le voit décliner les invitations officielles ainsi que les cadeaux offerts par ceux qui évoluaient dans l'entourage du pouvoir central, comme s'il craignait une quelconque souillure morale, dans le sens politique de l'expression. Aucune propension à la renommée, si elle n'était pas le fruit de son propre effort intellectuel, se contentant ainsi du peu qui pouvait subvenir à ses besoins en ce monde ici-bas. C'est pourquoi, il eut tout le loisir d'orienter ses efforts intellectuels en direction de ce qui est exact et beau et put ainsi se consacrer aux questions de logique, de musique avec une grande virtuosité. Son œuvre en fait foi. Bien que n'acceptant aucun jugement sinon celui que lui offrait la raison, la rigueur qu'impose la logique n'a pas empêché ce penseur de donner une coloration soufie à ses autres écrits, tel son traité sur Les lettres qui rappelle, par bien des égards, le fameux poème d'Arthur Rimbaud Les voyelles. Et si Al Farabi, me suis-je interrogé, revenait à la vie en notre temps, et dans notre espace géographique précisément, prendrait-il le risque de se frotter à nos politiciens, de se salir les mains et l'esprit ? Accepterait-il de faire partie de leurs réceptions, d'habiter, continuellement devant le hublot d'un avion comme cela se fait de nos jours ? C'est cette pureté d'intention que l'on retrouve chez les héritiers d'Al Farabi, comme Ibn Sina (980-1037), Ibn Rochd (1126-1198), Emmanuel Kant (1724-1804) et autres philosophes, et c'est elle encore qui a fait le bonheur de tous leurs lecteurs à travers les âges. N'avait-il pas mérité, à juste titre, le qualificatif de « second maître » ?