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Abdelaziz Rahabi-Ancien ministre de la Culture et de la Communication (1998-1999) « Les pouvoirs publics n'ont plus de moyens de pression sur les titres influents »
Réagissant aux dernières déclarations du président de la République sur la presse, Abdelaziz Rahabi affirme dans cet entretien que la position de Bouteflika envers la presse n'a pas changé. L'ancien ministre de la Culture et de la Communication a estimé que malgré les changements constatés dans le pays, les rapports pouvoir-presse n'ont pas évolué. Pis, il précise qu'« il y a eu, durant les dix dernières années, une régression ». Selon lui, les pouvoirs publics, qui n'ont plus de moyens de pression sur les titres de presse les plus influents, doivent plutôt chercher à normaliser les relations avec la presse que de « continuer à perdre du temps ». Dans son discours devant les maires, le Président a critiqué ce qu'il a appelé « la presse amie » qui « caresse et attaque, à la fois, le pouvoir ». Quelle lecture faites-vous de cette déclaration ? Je ne sais pas comment cette déclaration est tombée dans ce discours comme un cheveu sur la soupe. Elle est décontextualisée, donc il est très difficile de commenter quelque chose qui n'est pas dans son propre contexte. Mais je pense que la position du Président vis-à-vis de la presse n'a pas changé. Le président de la République a affiché, dès son arrivée à la magistrature suprême en 1999, une animosité envers la presse privée algérienne. Cette déclaration ne ressemble-t-elle pas à une mise en garde à la presse ? Il n'avait pas besoin de l'afficher, il appartient à une génération qui a toujours considéré la presse comme un moyen de propagande. Le monde a changé, mais sa génération n'a pas du tout changé. Du moins, une grande partie de sa génération. Récemment, des directeurs de journaux privés ont été convoqués par la police ; ceci intervient après une relative accalmie qui a duré plusieurs mois. Cela ne présage-t-il pas la réinstauration du rapport conflictuel entre le pouvoir et la presse ? Je pense que le Président se rend plutôt compte qu'il n'a plus les moyens de pression qu'il avait il y a dix ans sur la presse qui sont les rotatives publiques et la publicité. Aujourd'hui, des titres influents sont indépendants concernant l'impression, et la publicité institutionnelle ne représente que la moitié du marché publicitaire en Algérie. Les opérateurs de téléphonie mobile, les banques et les concessionnaires automobiles ont plus d'influence que la publicité de l'Anep. Je pense que les pouvoirs publics ont tardé à comprendre que leur démarche est contre-productive. Ils réalisent, dix ans après, que le pays a changé et que sur le marché publicitaire il n'y a pas que la publicité de l'Anep et qu'on peut tirer un journal en recourant à des prêts de banques étrangères ou dans leurs propres rotatives. Ils (les pouvoirs publics) ont réalisé qu'ils n'ont presque pas de moyens de pression sur les titres les plus influents. Il fallait tout simplement chercher, dès le début, à normaliser les relations avec la presse au lieu de tenter d'aligner la ligne éditoriale des journaux. Mis à part le marché publicitaire, les rapports pouvoir-presse n'ont pas changé… En février 1999, le gouvernement, dans lequel j'étais, avait mis fin au monopole de l'Anep sur la publicité. Il a fait de l'Anep un opérateur comme tous les autres. Aujourd'hui, il y a même une régression. Selon quel principe d'efficacité un organisme peut-il orienter la publicité du ministère de l'Agriculture, du ministère de l'Habitat, du ministère des Finances ou bien d'une entreprise communale ? Cela ne doit exister, peut être, qu'en Corée du Nord. Je pense que le gouvernement et les ministres souffrent, eux-mêmes, du fait de ne pas disposer d'un outil de communication, d'orientation et de sensibilisation qu'est la publicité. Ils souffrent de ne pas pouvoir en disposer et de l'utiliser en fonction de l'impact recherché. Or, aujourd'hui, il y a une utilisation administrative dirigée de la publicité par deux ou trois personnes. Mais pas par le gouvernement. Quelle est, selon vous, la nature des relations entre le pouvoir et la presse privée après 18 ans d'existence ? Ils sont, malheureusement sur deux voies parallèles. Le pouvoir et la presse ont des rapports suspicieux. Les pouvoirs publics cherchent à exercer des pressions sur la presse et, à mon sens, ils sont en train de perdre du temps. Il faut normaliser les relations et faire de la presse un outil d'explication et de promotion de la politique du gouvernement. Cela ne réduit en rien la mission du contrepouvoir qu'ont toutes les presses du monde. Pour normaliser les relations, il faut une volonté politique qui était présente chez Zeroual en 1994 et au début des réformes chez Chadli. C'est paradoxal, mais ce sont les chefs d'Etat militaires qui étaient plus enclins à croire à la liberté d'expression que ceux qui viennent de la société civile. C'est l'un des paradoxes de la société algérienne.