Jour après jour, l'Algérie ressemble à cette mère qui, impuissante, regarde partir ses enfants l'un après l'autre vers une destination lointaine et inconnue. Ces enfants qui choisissent l'éloignement ne cessent pour autant d'aimer leur mère ; ils partent à la recherche d'un idéal, d'une vie meilleure et prospère. Chômeurs, étudiants, cadres, chercheurs, fonctionnaires, tous caressent le même rêve : débarquer sur une terre où la paix et la liberté ne sont pas des mots vagues que l'on distille comme une capsule effervescente dans un cocktail de discours loin d'étancher la soif de millions d'Algériens aspirant à vivre. Mais bien des mots qui trouvent leur pleine signification dans des contrées où la notion de citoyenneté n'est pas réduite à un grade ou à une fonction. Les candidats algériens à l'émigration sont nombreux. Ils sont des milliers à tenter, chaque année, d'arrimer leur barque sur un rivage clément. Différemment outillés, les candidats à l'émigration usent, afin de concrétiser leur rêve, pour certains de moyens légaux et pour d'autres de subterfuges facilités par une situation géographique à la croisée des chemins entre un Nord riche et prospère et un Sud encore otage de son sous-développement. Le phénomène de la harga ou traversée clandestine de la Méditerranée dans des embarcations de fortune porte en lui tout le symbole du rejet d'une situation, d'un état de fait, exprimé par une génération qui ne se retrouve pas dans le système tel que conçu par une autre génération. C'est l'expression d'un ras-le-bol, d'une grande mise au point au fonctionnement d'un pays en décalage avec les aspirations de l'Algérie d'en-bas. Ce rejet n'est pas seulement l'apanage des harraga. Les autres formes d'émigration « plus conventionnelle » l'expriment aussi. Combien d'étudiants partis parfaire leurs connaissances à l'étranger sont revenus ? Combien sont-ils, les chercheurs, à troquer leurs bureaux poussiéreux pour des laboratoires de haut niveau à l'étranger où le salaire est loin d'être une préoccupation ? Combien de cadres sont-ils, revenus après avoir goûté à la joie de l'ascension professionnelle et sociale par le seul mérite du travail et non pour avoir sollicité un piston ? Combien de jeunes ex-chômeurs classés sans avenir chez eux sont revenus après avoir trouvé un sens à leur vie loin de leur patrie ? Si le marasme social est pour beaucoup dans le choix de la fuite à l'étranger, le facteur de la quête de la citoyenneté est aussi à prendre en compte. Quel est donc ce lien entre un harrag qui n'a pas pu avoir un visa et cet étudiant, ce chercheur ou ce cadre partis en situation régulière à l'étranger, si ce n'est la quête d'un idéal commun qui est la considération et le respect ? 40 000 chercheurs ont quitté l'Algérie entre 1996 et 2006, 3414 algériens se sont installés au Canada en 2007, 1500 harraga interceptés en 2007, 51 harraga arrêtés à Annaba pour la seule journée du 29 juillet 2008... Des chiffres éloquents mais non exhaustifs, qui réclament toute l'attention des responsables du pays. Jusqu'à quand allons-nous continuer à juger et accuser toute cette génération d'émigrants de manquer de patriotisme, au lieu de lui offrir un meilleur cadre de vie, un environnement juste où les mêmes chances sont offertes à tous ? C'est aussi faire preuve de patriotisme que de penser au bien-être des citoyens. La phrase de Rousseau dite en 1764 est toute éloquence : « Ce ne sont ni les murs ni les hommes qui font la patrie : ce sont les lois, les mœurs, les coutumes, le gouvernement, la constitution, la manière d'être qui résulte de tout cela. La patrie est dans la relation de l'Etat à ses membres ; quand ces relations changent ou s'anéantissent, la patrie s'évanouit. »