Quand cheikh Ahmed veut aller faire quelques courses avec sa femme et sa fille en ville de Genève, il lui faut cinq grosses berlines allemandes pour se déplacer. Une pour sa famille et ses trois gardes du corps et les quatre autres, au cas où. Et tant pis si le prix de l'essence a explosé et si les rues de la ville du bout du lac sont encombrées. « Je ne change pas mes habitudes », explique le riche Saoudien, qui a pris une suite dans un palace genevois. Ils jouent les Casanova La grande transhumance des touristes du Golfe a commencé. Ils font leurs valises pour l'Europe, laissant derrière eux les grosses chaleurs. Ces derniers jours, par vagues successives, Saoudiens, Koweïtiens, Doubaiotes et autres Emiratis débarquent à l'aéroport Genève Cointrin. Les hommes rangent leur tenue traditionnelle dans les armoires et sortent costards ou tee-shirts et jeans, jouant les Casanova. Les femmes laissent tomber leur voile et courent vers les magasins de luxe de la rue du Rhône pour s'acheter la dernière tenue à la mode ou les bijoux les plus extravagants. Plus c'est gros et cher, mieux c'est, assure Sylvie, vendeuse au Bon Génie. La femme d'Ahmed le presse. Elle s'impatiente. Elle veut aller dans une boutique du centre-ville. « Tout est prêt », annonce leur agent Sandro Nabil. Ce Libyen est leur homme à tout faire, il s'occupe de tout, même des missions impossibles... Les Saoudiens Al Djawhara Al Mouamar et Khaleed Al Charif viennent de débarquer à l'hôtel de la Paix, sur la rade de Genève. « C'est notre première fois en Suisse », confie ce jeune couple de Riyad, qui vient de se marier. « C'est le paradis. Nous allons rester dix jours et nous voulons visiter Lugano et Interlaken. » Et pour marquer le coup, Khaleed a offert une bague à sa jeune épouse. Son prix : plus de 70 000 francs. Une paille, dit-il, alors que le tram passe dans la rue du marché, en vieille ville. « Nous y retournons demain pour acheter de vrais bijoux. Avec un pétrole si cher, on peut dépenser sans compter. Aucun problème. » Zaïdan, du Koweït, est aux anges grâce aux pétrodollars qui coulent à flots. « Je suis venu avec toute ma famille. Plus de 26 personnes. Moi, je suis là pour le business, et ma famille pour dépenser mon argent », se réjouit ce jeune homme joufflu avec Rolex et chemise de marque. A ses côtés, sa femme, jupe courte et top échancré, balance son sac Prada comme un vulgaire sac de supermarché, alors que son fils de 12 ans pianote sur son téléphone Blackberry. « Ici, je me sens libre. Je respire alors que, dans mon pays, les contraintes sont très fortes. Il faut justifier tous nos actes. C'est très lourd, la religion », soupire ce Koweïtien, qui ajoute que s'il croise une connaissance, il demande à sa femme de s'éclipser. Oups ! « Normalement, elle est complètement voilée. » « Genève ou Vienne » Dans un café branché de Genève, trois jeunes Saoudiens, issus de la classe moyenne, discutent de leur « plan drague » du soir. « Durant quelques jours, on fuit la vie stricte de Djeddah », murmurent Karim, 18 ans, et sa sœur Sara, 22 ans. « On n'a quasiment jamais de contact avec les filles. Ici, on se défoule. » Bref : Genève est comme un remède à la schizophrénie des sociétés arabes. « Ici, on peut goûter les fruits défendus », poursuit son copain Tarek. « Entre les gens qui vont chez les prostituées, qui boivent de l'alcool ou qui ne prient plus, c'est les vacances. Ici, notre religion, c'est le shopping ». Allah Akbar ! La Suisse peut se frotter les mains. Durant les cinq premiers mois de l'année, le nombre de touristes venant du Golfe a augmenté de 35% par rapport à la même période en 2007, qui avait été déjà un excellent cru. Leur nombre a passé la barre des 26 000. Et les milieux touristiques s'attendent à battre ce record cet été. « Genève et Vienne sont les destinations les plus recherchées cette année », poursuit Khaled, qui aspire à la tranquillité. « En général, nous allions au Liban. Mais cette année encore, la situation est très difficile politiquement. » Les commerçants genevois ont très bien compris que la manne arabe est de retour. « Ils achètent sans même regarder », sourit Claire. Dans les vitrines, le claquant se dispute au plus scintillant. Et le prix va avec. « Les magasins abusent. Tout comme les hôteliers qui doublent les prix », peste Adlane, un Tunisien établi à Genève depuis plusieurs années. « Les Genevois ne devraient pas exagérer. L'Espagne fait aussi les yeux doux aux « pétro-touristes ». L'Autriche aussi. Et ne croyez pas qu'ils ne connaissent pas les prix de ce qu'ils achètent. Ils ont aussi internet. » Les mille et une nuits du ramadhan à Genève Ça serait dommage de trop tirer sur une corde qui rapporte, en trois mois, près de 200 millions de francs à Genève. Faut-il déplacer les fêtes de Genève à cause du jeûne du ramadhan ? L'Hebdo pose la question cette semaine. Réponse de touristes arabes : « Mais pourquoi ? », s'interroge Amir, Saoudien de 45 ans. « C'est génial que ces fêtes aient lieu en même temps en 2011. Je réserve un hôtel tout de suite. Durant le ramadhan, on dort la journée et on fait la fête la nuit. S'il y a de l'animation, c'est tant mieux. » Les nuits de ce mois de jeûne musulman sont festives du Caire à Casablanca, de Beyrouth à Alger. Ces villes ne dorment jamais durant cette période. « On ne comprend pas pourquoi vous débattez de ce sujet. Parler du ramadhan sans savoir ce que c'est ! », poursuit Nahla, de Bahreïn. « Si Genève ne nous prépare rien, on ira ailleurs. Ramadhan ou pas, on prendra des vacances en Europe. » Même son de cloche de la part de François Bryan, directeur général de Genève Tourisme. « Nous allons adapter notre programme et on va faire les mille et une nuits du ramadhan à Genève. »