La coalition internationale, qui active en Afghanistan depuis 2001, a la gâchette facile, mais aussi le verbe pour justifier et transformer la défaite en succès stratégiques. A vrai dire, elle ne trouve pas de tactique à même d'empêcher le retour des taliban chassés du pouvoir en 2001, ainsi que d'explications pour des pertes de plus en plus nombreuses, comme celle que vient de subir le contingent français déployé en Afghanistan. Dans cette guerre sans image, les victimes civiles sont de plus en plus nombreuses et, à chaque fois, la coalition s'engage à procéder à des enquêtes, sans que l'on connaisse ses conclusions ou bien quand le fait est avéré, elle doute des bilans, ou alors parle tout simplement de bavure. Et les bavures, il y en a. En ce sens, la coalition sous commandement américain a annoncé, hier, comme le veut cette règle non écrite, qu'elle avait ordonné l'ouverture d'une enquête après les affirmations du ministère de l'Intérieur afghan, selon lequel 76 civils ont été tués la veille dans un bombardement dans l'ouest de l'Afghanistan. Pour sa part, le président, Hamid Karzaï, a condamné le « martyre de plus de 70 innocents, pour la plupart des femmes et des enfants », dans un communiqué. La coalition avait indiqué, vendredi dernier, que 30 insurgés avaient été tués dans un affrontement avec les forces de sécurité afghanes et internationales et dans des frappes aériennes dans le district de Shindand. Mais la police de la région a affirmé que 15 maisons ont aussi été détruites dans les bombardements. « Soixante-seize personnes, toutes des civils et pour la plupart des femmes et des enfants, ont été tuées », a assuré le ministère de l'Intérieur dans un communiqué, précisant que parmi les victimes figuraient 50 enfants de moins de 15 ans, 19 femmes et 7 hommes. Il était impossible de vérifier ce bilan de source indépendante, le district de Shindand se trouve dans une zone isolée, où les insurgés sont très bien implantés, mais s'il était confirmé, il s'agirait de la bavure la plus meurtrière des forces internationales depuis le renversement des taliban fin 2001. « Toutes les accusations concernant des victimes civiles sont prises très au sérieux. Les forces de la coalition font tout ce qu'elles peuvent pour éviter la perte de vies innocentes. Une enquête a été ouverte », a expliqué la coalition dans un communiqué. Le ministère de l'Intérieur a envoyé une délégation dans la région pour enquêter. Sur place, une manifestation d'habitants a dégénéré et des soldats afghans ont ouvert le feu, blessant deux personnes. « Des manifestants ont lancé des pierres sur des soldats afghans, qui ont tiré en l'air pour les disperser. Deux civils ont été blessés et les soldats se sont retirés pour laisser la place à la police », a indiqué le général Akramuddin Yawer, commandant les forces de police dans l'ouest de l'Afghanistan. Les manifestants scandaient des slogans hostiles à la coalition et au gouvernement de Hamid Karzaï. La Maison-Blanche avait réagi avec scepticisme, vendredi soir, aux affirmations venant des sources afghanes. « Les Etats-Unis et l'Otan ont pris des mesures pour éviter la mort de civils. Je serais prudent avec les premières informations venant d'Afghanistan », a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche, Gordon Johndroe. La mission des Nations unies en Afghanistan a indiqué qu'elle enquêtait également sur le sujet. « La question des victimes civiles est si importante que nous recommandons la plus grande vigilance. Mais nous sommes fortement préoccupés par les premières informations faisant état de très nombreuses victimes », a souligné Aleem Siddique, porte-parole de la mission de l'ONU. Le président Hamid Karzaï a réitéré ses appels à la prudence aux forces internationales, avertissant que de telles bavures risquent de retourner la population contre les soldats étrangers et le gouvernement. Les forces étrangères en Afghanistan sont régulièrement accusées de provoquer la mort de civils dans les affrontements avec les insurgés. Au cours des quatre premiers mois de l'année 2008, environ 200 civils afghans ont été tués par les forces internationales, la plupart dans des frappes aériennes, avait indiqué à la mi-mai un rapporteur spécial de l'ONU, Philip Alston. Dans le même temps, 300 civils ont été tués lors d'attaques des taliban, les trois-quarts au cours d'attentats suicide, selon lui. En juillet, deux frappes aériennes des forces internationales avaient tué 64 civils, pour la plupart des femmes et des enfants venus assister à un mariage, dans les provinces du Nouristan et de Nangarhar (est), selon des commissions d'enquête des autorités afghanes. Ces victimes viennent allonger un bilan déjà lourd, même si à l'évidence il est gardé secret.