Malika Mokeddem est fâchée, en colère perpétuelle. Elle a des comptes à régler. Dans son dernier livre, Je dois tout à ton oubli, elle les solde avec beaucoup de talent. L'écrivaine tient sa Folcoche. Un livre douloureux, sensible. Avec une écriture nerveuse, empreinte d'un faux détachement, elle se retourne vers le passé qui n'en finit pas de se décomposer. A l'image de la société algérienne qui a cru en des lendemains meilleurs après l'indépendance et qui, depuis, n'arrête pas de déchanter. Une succession de revers, un encouragement pervers à toutes les régressions, un emprisonnement de toutes les libertés. Et comme les exclus ont leurs exclus, les Algériens, brimés, humiliés par les libérateurs d'hier, aujourd'hui despotes non éclairés, se vengent en trouvant des victimes désignées : les Algériennes. La femme, toujours la femme. Des siècles de brimades, de domination masculine, de soumission ne peuvent être effacés si facilement, surtout si les tenants de l'obscurantisme sont au sommet de l'Etat. Pour perpétuer des traditions rétrogrades, la mère est la mieux placée. Qui peut mieux dresser, dompter la femme sinon la mère ? Depuis quelques années, il existe une littérature en France, souvent emmenée par des femmes qui ont un regard très critique sur leur société d'origine. Des écrivaines, pour la plupart musulmanes, qui dénoncent la condition de la femme, à juste raison. Ces livres se vendent très bien et trouvent un public attentif. Quelquefois, ils sont écrits à la va-vite, sans recherche littéraire, dans l'unique désir de plaire à un public français dont les éditeurs pensent connaître les attentes, au risque de prendre des raccourcis pour le moins malhonnêtes. Malika Mokeddem, elle, s'attache à une écriture littéraire personnelle. Dans son dernier livre, elle n'hésite pas à mettre à nu sa relation avec sa mère dans un langage douloureux, forcément douloureux. Pour abuser de la facilité, on dira qu'elle tient sa Folcoche, ce personnage haut en couleur d'Hervé Bazin. Tout commence par un infanticide. Une célibataire ne peut pas avoir d'enfant dans une société fermée, puritaine, surtout dans un village algérien perdu dans le désert. Alors, la mère arrange la réalité. Enfant, Malika surprend sa mère. Puis sa mémoire fait le tri, refoule le souvenir. Sauf que le passé s'invite, quand il veut, à la table du présent, à son rythme, au moment qu'il a choisi. Ce réveil (éveil) demande des explications, exige de se nourrir. S'ensuivent des va-et-vient entre la France et l'Algérie, des tensions entre Malika et sa famille. Pourquoi réveiller le passé, se plaint la famille. Pour apaiser le présent, répond celle qui est devenue chef de famille malgré elle. Un long tunnel de souffrances.