Je ne connais pas papier (‘'je suis illettrée'', ndlr). ça me fait mal ! », expliquent plusieurs femmes qui viennent de s'installer sur de petits bancs en bois. Pendant deux heures, elles vont suivre les cours au cœur même du marché, un immense bâtiment de deux étages et poser leurs cahiers sur de larges étals rectangulaires en ciment, d'ordinaire réservés aux marchandises. En face d'elles, deux vieux tableaux noirs sont accrochés au mur. « Ces femmes sont très motivées et aspirent à la connaissance », explique Mme Doué, la fondatrice du centre. Présidente de l'Association des couturières du marché d'Abobo depuis 1988, Mme Doué a lancé « l'université » en 2005, après avoir constaté le « trop-plein de femmes analphabètes » dans sa structure. Au début, le centre ne comptait que 20 femmes contre près de 200 aujourd'hui. « Je ne savais ni lire ni écrire et j'avais des problèmes pour tenir ma comptabilité. La lecture des notices des produits pharmaceutiques constituait aussi une difficulté. Tout cela m'a poussé à surmonter mon illettrisme », témoigne l'une des premières élèves, Mme Aline Bahi. « C'est une fierté de savoir lire et écrire », souligne cette vendeuse de pagnes. « Pour moi, c'est un pari gagné », explique une autre élève, Monique Bolou, qui arrive désormais à remplir les formulaires pour retirer de l'argent à l'agence de micro-crédits de son quartier. Pour Makan Kanouté, le seul homme du groupe, « apprendre à lire et à écrire constitue l'avenir ». « C'est quelque chose qui n'a pas d'âge », ajoute Monique Allahau, 60 ans, surnommée la « Mémé » par ses camarades. Pour tous, il s'agit de rattraper le temps perdu. Mlle Awé Traoré, 21 ans, sait désormais lire un journal et les prix des étiquettes des magasins, après deux ans passés à « l'université ». « Du coup, j'ai pardonné à mes parents qui ne m'ont pas scolarisée à temps », ajoute la jeune femme. A « l'université » du marché d'Abobo, les élèves sont appelées les« apprenantes » et le maître « l'auditeur ». Les cours correspondent aux niveaux CP à CM2 et sont dispensés par quatre enseignants, de vrais étudiants du supérieur qui ont accepté ce travail en échange d'un peu d'argent.