« Nous rejetons le projet globalement et dans le détail », affirme le responsable du Front des Forces socialistes, qui revendique « le premier mandat du peuple ». La révision de la constitution aura lieu demain. Quelle est, de manière claire, la position de votre parti ? Pour faire garder aux mots leur sens, il ne s'agit pas d'une révision mais d'une énième violation des règles suivant lesquelles doit fonctionner un Etat. Nous sommes dans un pays de non-droit absolu. Les constitutions successives n'ont été qu'un instrument de légalisation de la politique de la force. Si on fait un rappel historique des constitutions en Algérie, nous nous apercevons que la réalité du pouvoir s'exerce en dehors de toutes les institutions visibles et de toute norme constitutionnelle. Rappelons-nous que la première constitution du pays a été élaborée en dehors de son cadre naturel, l'Assemblée constituante, par un groupe d'officiers, dans une salle de cinéma. En 1965, cette même constitution a été mise au placard. Un coup d'Etat fut organisé qui a donc dessaisi toutes les institutions de leurs missions. Même scénario pour la constitution de 1976 et plus violent encore fut le sort réservé à la constitution de 1989. Arrêtons-nous un moment sur cet épisode. La révision de la constitution de 1989 a fait suite au soulèvement populaire d'octobre 1988. Cette constitution a été présentée comme une réponse aux revendications politiques, économiques et sociales de la population. Cette même constitution, adoptée le 2 février 1989, avait laissé quelques ouvertures à la société en consacrant le droit de créer des associations à caractère politique, le droit de créer des syndicats et des journaux. Ce qui a d'ailleurs imprimé une dynamique dans la société civile et donné aussi une dynamique de débat de manière générale. Même avec quelques-unes de ses dispositions contestables, l'histoire retiendra qu'elle a rendu possible quelques pluralismes. Malheureusement encore une autre fois, cette dynamique sociale et politique qui devait, dans son fonctionnement naturel, aboutir à une réelle représentation politique et sociale, fut stoppée en 1992. Cette situation a eu pour conséquence non seulement de mettre la constitution en dehors de tout exercice, mais aussi de faire basculer le pays dans une crise violente. Cette violence a provoqué des dégâts importants. Depuis, la société algérienne est soumise aux politiques violentes et aux coups de force permanents. La révision de la constitution qui va être adoptée demain par le parlement est une suite logique de cette série de coups de force et de la violation de la volonté de la population. Cette révision ne règle en rien les problèmes des algériens, elle vise tout simplement la pérennité du système. C'est la constitutionnalisation du pouvoir absolu et la consécration de la gestion opaque et souterraine des affaires du pays, en mettant ses affaires loin de tout contrôle démocratique, juridique et populaire. Vous parlez du rejet de ce projet. Etant en dehors de l'institution parlementaire, quelle action préconisez-vous ? Tout d'abord, il faut éviter de tomber dans des débats sur la formalité au risque de s'éloigner du substantiel. Je précise ma pensée avant de donner le point de vue du FFS. Il faut surtout éviter de déplacer le débat de cette révision vers la question du type : vote par référendum ou saisine du parlement, vote à main levée ou à bulletins secrets, liberté de candidature ou devoir d'alternance. Tous ces éléments sont secondaires devant la volonté maladive du système, et particulièrement du chef de l'Etat, de fermer le jeu politique dans le pays. Le suspense qui a duré presque deux ans puis l'annonce de la révision à quelques mois des élections présidentielles est une preuve du peu ou de l'absence de considération à l'égard de la population, mais c'est aussi une preuve de la poursuite de la gestion dans l'urgence. Nous, au FFS, nous avons dénoncé cette politique violente et nous avons depuis toujours réclamé le retour à la légitimité populaire, le retour à une gouvernance basée sur des règles claires, des règles démocratiques. Nous demandons enfin le premier mandat de la population. C'est-à-dire le retour au principe de l'Assemblée nationale constituante qui permettra l'élaboration de la première constitution qui émanera de la volonté populaire. C'est à cette condition qu'on peut parler d'un premier mandat de la population algérienne. Car ce qui se passe dans le pays est la poursuite du même mandat qui a débuté lors de la prise du pouvoir en 1962 et qui a été exercé par la force jusqu'à aujourd'hui. Nous regrettons que même dans cette situation d'impasse politique, de crise économique et de désarroi social, il n'y a aucune volonté chez les décideurs d'ouvrir le jeu politique. Le FFS, qui rejette globalement et dans le détail cette « maskhara » constitutionnelle, continue de militer avec les forces politiques autonomes, les personnalités politiques autonomes et les forces sociales autonomes pour exiger le retour à la démocratie, donc à la souveraineté populaire. Ces derniers jours, l'on commence à remettre sur le tapis l'initiative politique de Hocine Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Mehri. Qu'en est-il exactement ? L'initiative de Hocine Aït Ahmed, Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Mehri a été une expression d'une volonté des trois à participer dans tout processus de démocratisation du pouvoir, de son exercice et de son contrôle. Ils ont exprimé leur disponibilité à participer à la recherche d'une solution politique et définitive à la crise. Aujourd'hui, malgré le rétrécissement du champ de la parole et de la pensée, des hommes et des femmes ont fait savoir leur volonté de participer à un processus politique fiable et sérieux. Ainsi, nous enregistrons dans la société, dans la presse, et dans le milieu universitaire et syndical une présence intéressante d'animateur et de militants favorable à l'idée lancée. En ma qualité de premier secrétaire du FFS et n'ayant pas le mandat de parler au nom des trois, je ne peux que vous affirmer que l'appel du 14 septembre 2007 a ouvert des perspectives d'actions communes avec beaucoup de militants et d'acteurs de la société civile. En somme, nous sommes résolument engagés à être des acteurs à part entière dans la définition des perspectives d'avenir. L'adoption de la révision constitutionnelle devrait consacrer un troisième mandat au profit du président Bouteflika ! Mandat à vie ? Il faut plutôt parler d'un mandat à mort et dans des conditions floues et opaques. Je vous rappelle un propos d'un homme politique qui faisait la comparaison des trois dernières élections présidentielles. Il disait : « En 1999 candidature ouverte, campagne électorale ouverte, élection fermée. En 2004 candidature ouverte, campagne électorale fermée, élection fermée. En 2009 on aura candidature fermée, campagne fermée et élection fermée. » Cette comparaison montre la régression politique et la défiance du pouvoir à l'égard de toute norme de gouvernance. Dans ces conditions, l'élection présidentielle de 2009 est une simple formalité. Se rendre complice de cette gestion serait participer à maintenir le pouvoir et condamner le peuple algérien au sous-développement politique, économique et social. A quoi servirait l'organisation d'une élection présidentielle, même sous surveillance internationale, même avec la multiplication des candidatures maison, même avec la présence éventuelle de femmes candidates ? Le scénario retenu est de faire semblant de tout bouger pour que tout reste en place. C'est une élection qui se déroulera dans des conditions d'absence totale des règles basiques de la politique. Quant à la révision de la constitution, c'est l'étape de la reconduction de Bouteflika et du maintien des équilibres internes au pouvoir, tout en figeant et en bloquant la société. Pour ne pas laisser le lecteur avec le sentiment de fatalité et de désespoir, le bricolage et la falsification dont fait usage le pouvoir sont annonciateurs du début de la fin d'un système qui n'a ni les ressources morales ni les ressources politiques. Le fait de coupler la révision de la constitution pour le troisième mandat avec la question des femmes est une démonstration que le pouvoir tire les derniers sujets du tiroir. La femme mérite bien plus que de servir de faire-valoir dans un jeu politique et constitutionnel qui continue de la réduire au statut de sujet, à l'instar de la société algérienne. Cela relève de l'escroquerie politique que de faire adopter la révision constitutionnelle sous couvert de la promotion de la représentation de la femme.