Le ministre de l'Intérieur du gouvernement fédéral de l'Inde, Shivraj Patil, qui a quitté, hier, ses fonctions, sous le feu des critiques qui accusent l'Exécutif de Manmohan Singh d'avoir failli à sa mission d'assurer la sécurité des citoyens indiens et des touristes, risque de n'être que le premier d'une liste de responsables indiens qui devront être écartés du pouvoir pour calmer la colère d'une opinion publique médusée. Le gouverneur de la province de Bombay et plusieurs responsables de la police et des services de sécurité savent que leur mandat est en sursis. Alors que l'enquête menée par les autorités indiennes pour élucider les circonstances qui ont permis à un groupe armé composé d'une dizaine de jeunes activistes, âgés entre 18 et 28 ans, de semer la terreur dans la capitale financière de l'Inde, trois jours durant, le principal coupable, semble déjà tout désigné : le Pakistan. Face aux accusations catégoriques que les responsables indiens ont lancé en direction d'Islamabad, la position de ce pays semble bien difficile. Le Président pakistanais, Asif Ali Zardari, avait beau plaidé sa cause, samedi soir, lors d'un entretien accordé à une chaîne de télévision indienne, dont le journaliste semblait soumettre le veuf de Benazir Buttho plus à un interrogatoire qu'au jeu des questions réponses ; les terroristes semblent avoir toutefois causé plus de tort à Islamabad qu'à New Delhi, dans cette série d'attaques sanglantes. La position inconfortable du tout fraîchement élu président, (septembre dernier), c'est sans doute l'éditorial du quotidien indien Times of India, qui la résume le mieux. « Les services secrets indiens ont fournis des preuves si accablantes contre le Pakistan, que pour se défendre le gouvernement d'Islamabad doit avouer ne pas contrôler totalement son propre territoire ou bien admettre qu'une partie de son sérail a des liens solides avec les terroristes. » Car, au lendemain de la tuerie de Bombay, les experts en politique régionale s'interrogent sur la conjoncture de ces attaques, perpétrées au moment où le nouveau président des USA, Barack Obama, affirme vouloir promouvoir la réconciliation entre Indiens et Pakistanais, pour concentrer la lutte américaine contre le terrorisme sur le territoire afghan, justifiant du coup sa décision de retirer les forces américaines du front irakien. Les attentats de Bombay surviennent, également, après que le Pakistan eut commencé à montrer ouvertement sa disponibilité à trouver un compromis avec son voisin ennemi, l'Inde, sur la question du conflit au Cachemire. Il est notoire qu'une partie des décideurs au Pakistan et en Inde ne veulent pas de ce règlement possible. Le pouvoir indien croit avoir gagné la bataille militaire au Cachemire, qu'il considère comme une partie de son intégrité territoriale, et n'estime pas nécessaire de concéder aux Pakistanais l'honneur d'une paix concordée. Par ailleurs, une partie de l'armée pakistanaise et les chefs des services secrets de ce pays n'approuvent pas l'ouverture de Zardari, qu'ils jugent trop faible et l'accusent de vouloir renoncer à « une partie du Pakistan ». Les uns ou les autres auraient un intérêt, à la lumière de ces analyses, à manipuler un groupe de jeunes fanatiques pour arriver à leur but. Car, au lendemain de l'assaut donné par les forces spéciales indiennes contre les deux hôtels de luxe, le Oberoi-Trident et le Taj Mahal, et le centre juif de Bombay, pris en otage par les hommes armés du commando, le scepticisme persiste face aux techniques impressionnantes utilisées par le groupe terroriste. Des membres des forces spéciales indiennes, qui sont intervenus lors de l'assaut, ont expliqué aux médias que les terroristes avaient agi comme des militaires ou comme des activistes ayant reçu un entraînement de combat à toute épreuve. La droite tire profit des attaques. Trop de questions entourent encore cette série d'attaques spectaculaires, et les informations fournies par les investigateurs indiens et attribuées au seul terroriste ayant survécu aux accrochages ne sont guère convaincantes. Un autre élément, relatif à la politique indienne, vient confondre encore plus les hypothèses. La concomitance de ces attaques avec la tenue des élections politiques dans plusieurs Etats de l'Inde, les 15 millions d'habitants de New Delhi, ont voté samedi, et les observateurs prévoient la défaite du parti du Congrès (centre-gauche) au pouvoir, au profit de la droite, et les élections générales auront lieu dans quelques mois en 2009. Les accusations contre le Pakistan ont réveillé le sentiment d'hostilité éprouvé par les Indiens envers les frères d'hier, avant la partition déchirante opérée par les Anglais lors de leur retrait de l'empire des Indes en 1947. Concernant les musulmans de l'Inde, si les chefs hindous des formations politiques extrémistes ne se privent pas d'instiguer leurs coreligionnaires à plus de méfiance et de haine envers ces derniers, les responsables et les médias indiens se gardent bien d'ouvrir la boîte de Pandore. La presse écrite indienne, qui compte parmi ses rangs d'excellents journalistes, s'est montrée à l'occasion lucide et responsable, s'interdisant d'user de titres sensationnels pour exploiter l'émotivité des lecteurs. Il n'y a eu aucun ton hystérique ou islamophobe dans les analyses et les articles traitant de l'événement.