La situation toujours aussi dramatique en Irak a donné lieu ces derniers jours à une incroyable cacophonie et de fortes contradictions que le fracas des bombes n'a pu étouffer. Et pour cause, l'un ne va pas sans l'autre, en d'autres termes, la vie politique et les perspectives envisagées par l'armée américaine dépendent de la seule situation sécuritaire. En ce sens, le président irakien a pris à contre-pied tout son monde, c'est-à-dire l'Admistration américaine et le cabinet irakien qui n'a pas d'autre voix que celle de l'Administration US qui l'a créé, encadré et mis en place. Ghazi Al Yaouar a, en effet, demandé mardi aux Nations unies de reconsidérer le calendrier électoral en Irak où les violences continues font planer une menace sur le scrutin programmé le 30 janvier. « Sans aucun doute, les Nations unies, en tant qu'organisme indépendant et légitime (...) devraient prendre la responsabilité de voir si ce (calendrier) est possible ou non », a-t-il déclaré dans une interview accordée à Reuters. En réponse, mais de manière très sèche, les Nations unies soutiennent que c'est à la Commission électorale irakienne de décider. « Nous n'avons reçu aucune requête officielle de M. Yaouar », a déclaré un porte-parole de l'Onu. Bel aveu d'échec ou de très forte discordance, car le gouvernement intérimaire irakien et les Etats-Unis ont affirmé avec constance que ces élections ne devraient pas être différées. Ghazi Al Yaouar reconnaît que ce scrutin, qui doit doter l'Irak d'une assemblée nationale de transition, serait un échec si les résistants parviennent à dissuader un nombre significatif d'électeurs de se rendre dans les bureaux de vote. « Sans aucun doute, les Nations unies, entité qui est indépendante, qui ne peut être menacée ni intimidée et qui est crédible aux yeux de la communauté internationale, devraient véritablement assumer leurs responsabilités et leurs obligations et dire si cela est possible ou non », a martelé le président irakien. Parlant en son nom, Lakhdar Brahimi conseiller spécial du secrétaire général de l'ONU, avait déjà affirmé que la consultation électorale serait impossible à organiser dans les conditions actuelles. Certainement fort de cet avis, déplaisant pour ceux, y compris les responsables irakiens, qui entendent faire croire que la situation est maitrisable, le président irakien semble résigné. « En toute logique, il y a des signes qui indiquent que ce sera une décision difficile d'organiser ces élections », a-t-il ajouté. La veille, c'est le ministre irakien de la Défense, Hazim Al Chaâlane, qui s'était prononcé pour un report des élections législatives, notamment en raison du boycottage prôné par la plupart des formations sunnites. Une manière d'occulter l'échec du cabinet auquel il appartient. A Baghdad, un haut responsable du département d'Etat américain, avec lequel des journalistes présents au Pentagone ont pu entrer en communication, s'est dit convaincu que les élections se tiendront le 30 janvier. Outre ces aveux, Ghazi Al Yaouar s'est laissé aller à quelques confidences en faisant valoir que certains membres de son gouvernement provisoires étaient favorables à un report des élections, mais qu'ils n'étaient pas en position de le réclamer. « Les gens commenceraient à penser que nous profitons de nos positions et que nous voulons y rester », a-t-il expliqué. La Commission électorale irakienne affirme qu'une modification de la date du scrutin est une décision politique qui nécessite une large consultation. Jusque-là le premier ministre irakien a refusé de concéder quoi que ce soit sans toutefois faire partager son optimisme, un peu forcé il est vrai. Effectivement, la violence s'emballe en Irak à moins de quatre semaines des élections, avec la mort mardi et hier d'une cinquantaine de personnes, dont le gouverneur de Baghdad et six soldats de la coalition dirigée par les Etats-Unis. L'armée américaine a annoncé hier qu'un soldat de cette force avait été tué la veille dans le nord de l'Irak, sans préciser sa nationalité. Cinq soldats américains ont aussi perdu la vie mardi dans des attaques. La police irakienne a indiqué, pour sa part que six Irakiens avaient été tués et huit autres blessés dans différentes attaques mardi et mercredi à Baghdad et en province. Des attaques simultanées ont en outre été repoussées hier à l'aube contre plusieurs postes de police de la capitale, selon la même source. Les morts de mardi portent à plus de 125 le nombre de tués dans des violences en Irak depuis le début de l'année. Plus de 1300 membres de la police et des forces spéciales du ministère de l'Intérieur irakien sont morts dans des attaques de la résistance qui les prennent pour cible depuis un an et demi, a déploré à Tunis Falah Al Nakib, ministre irakien de l'Intérieur. Cela fait beaucoup de morts. Ce qui est sûr, c'est que ces statistiques ne disent pas tout. Là est l'autre drame de l'Irak.