Le chameau est un curieux spécimen de la création. Il peut sembler disgracieux par sa démarche dégingandée, mais que de services ne rend-il pas à l'homme qui en fait un compagnon inséparable. Animal très sobre, mais d'une force et d'une résistance presque sans limite, il est très adapté aux longs parcours à travers le désert. Les longues caravanes, qui affrontent les terribles vents de sable, sont formées de chameaux. On croit savoir qu'il peut rester plusieurs jours sans boire ni manger. Et pourtant Abdelkader, le berger que son âge canonique rend si respectable et si crédible détruit cette voyance. Le chameau peut rester tout au plus deux jours privé d'eau et de nourriture. Après avoir vécu plus de quarante cinq ans à côté d'un troupeau de chameaux il sait de quoi il parle. En revanche, il va de sa propre fable ; il prétend que si on veut avoir de la pluie, on n'a qu'à priver un chameau de sa ration d'eau pour qu'au bout de deux jours il se mette à pleuvoir. « Les chevaux sont du vent, les chameaux des nuages », chantonne-t-il. « Le jour où je ne serai plus là il faudra que le patron se résigne à abandonner l'élevage des chameaux », avertit-il. Ce ne sera pas pour demain, s'il vivra autant que son père qui se serait éteint à 116 ans. A 78 ans, Abdelkader se souvient d'un temps où le troupeau de chameaux était si nombreux que se posait alors le problème de pâturage pour eux. Mais peu-être que l'on sait que le chameau ne vit pas plus de 35 ans, qu'il peut porter 4 quintaux–trois pour la chamelle–qu'il donne sa peau pour la fabrication du cuir, sa toison auburn pour le tissage des burnous et sa chair pour l'homme. Cela le rend bien plus précieux aux yeux de ce dernier. Abdelkader qui s'est présenté au dernier Salon du mouton tenu à Dirah, avec deux chamelles, est plus fier de son trésor sur lequel il veille jalousement.