Professeur associé à l'université Pierre Mendès France de Grenoble, Sadek Boussena occupait aussi le poste de ministre de l'Energie (de 1988 à 1991), de président-directeur général de Sonatrach et de président en exercice de l'OPEP (de 1989 à 1991). Ses recherches actuelles portent surtout sur l'analyse des marchés pétroliers (prix, stratégies des acteurs). Quel commentaire faites-vous concernant la chute brutale des prix du baril de pétrole, au lendemain de la décision de l'Opep de réduire sa production de 2,2 millions de barils par jour ? En fait, l'impact de la décision de l'OPEP à Oran, si la discipline joue la réduction de l'offre réelle, ne se fera sentir sur les marchés internationaux que dans 6 à 8 semaines. La chute brutale des cours, ces derniers jours, n'est pas totalement étonnante, car les opérateurs avaient déjà anticipé cette réduction de production. Certains ont pris leurs bénéfices, d'autres regardent ailleurs. En revanche, c'est vrai, son ampleur a surpris, cela pourrait être la résultante de trois facteurs. Le plus important reste lié à l'incertitude quant à la situation économique, probablement avec une récession pour l'année 2009 et donc une baisse de la demande pétrolière encore plus forte que prévu. Le second facteur, c'est la poursuite du retrait des investisseurs financiers des marchés papier du pétrole. Enfin, beaucoup d'opérateurs ont vendu avant la dernière échéance de l'année, celle du 21 décembre, pour des raisons de bilan annuel. Nous risquons d'avoir des niveaux de prix relativement bas pendant encore quelques mois en attendant que s'éclaircisse l'horizon économique au niveau mondial et que cesse la grave crise financière internationale. Les prix du pétrole vont-il pouvoir se redresser dans peu de temps en prenant en compte l'environnement international qui semble être défavorable ? Si on exclut le scénario catastrophe d'une aggravation de la crise et si les pays de l'OPEP appliquent les décisions d'Oran et celles qu'ils pourraient prendre encore en janvier 2009, je pense que dans quelques mois (éventuellement à partir du mois de juin 2009), les fondamentaux du marché reprendront le dessus par rapport aux fluctuations des marchés financiers. Dans ce cas, les cours remonteraient au-dessus des 60 dollars le baril, et ce, avant la fin de l'année 2009. Pour l'heure, les opérateurs sur les marchés pétroliers, physique et financier, ne regardent pas l'offre et la demande à court terme, ils sont obnubilés par les perspectives économiques incertaines et la crise financière internationale. Dans ces conditions, tout reste possible. La principale caractéristique des nouveaux marchés du pétrole, c'est leur forte volatilité, c'est-à-dire que les cours peuvent fluctuer très violemment, au gré de certaines informations, parfois même d'une manière injustifiée. D'après vous, la contribution des pays non Opep est-elle nécessaire et indispensable pour stabiliser les marchés ? Absolument. Il n'y a aucune raison que les pays de l'Opep soient les seuls à sacrifier une partie de leur production et que les autres restent ce que les économistes appellent des « passagers clandestins ». Face à cette situation, les autres producteurs de pétrole dits non Opep doivent nécessairement apporter leur contribution en réduisant, eux aussi, leur production. Ils y ont intérêt. Cela renforcerait le message adressé par l'OPEP. Si les opérateurs et les spéculateurs sur les marchés pétroliers venaient à constater, à la fin du premier trimestre 2009, une réduction substantielle de l'offre, les prix commenceront alors à se redresser durablement pour aller vers un niveau acceptable, tant pour les vendeurs que pour les acheteurs. Des pays tels que la Russie ont besoin, au même titre que ceux de l'OPEP, d'un bon prix pour les hydrocarbures exportés, pétrole et gaz naturel. Selon vous, quelle serait la situation à long terme ? Si on exclut un scénario catastrophe sur le plan économique, on peut raisonnablement espérer une phase où les pays émergents accroissent leur consommation d'énergie, notamment celle du pétrole. Cela offre donc une perspective positive pour les exportateurs de pétrole, car les sources alternatives et concurrentes seront de plus en plus chères. A long terme, c'est-à-dire sur les 5 années à venir, on pourra retrouver des niveaux de l'ordre de 90 à 100 dollars le baril.