La pièce tire sa substance d'un fait avéré ; l'invasion du Liban par l'armée israélienne en 1982. Mémoire pour l'oubli, joué sur les planches du CCF d'Alger retrace le parcours cahoteux d'une ville, mais surtout celui d'un homme, un poète, qui n'en finit pas de vivre la débâcle d'une ville comme un désastre personnel. La mort est toujours là, qui rode en rappelant à l'écrivain que tout est fragile. L'homme n'est autre que le grand poète Mahmoud Darwich qui s'est « remémoré » l'événement qui s'est déroulé cinq ans auparavant à Beyrouth, où se sont retrouvés des Palestiniens. Le texte originel, écrit par Darwich en 1987, était un texte en prose, les adaptateurs s'y sont ressourcés sans pour autant prendre la totalité du texte. La dramatisation à souhait de ce texte a su plaire à Darwich qui s'est toujours senti embarrassé par ce genre littéraire. La prose n'était guère son fort, comme en conviennent plusieurs critiques de ce poète de la dissidence. Le poète, cloîtré dans le huitième étage d'un immeuble de Beyrouth, est écartelé. La dualité est partout présente, même dans le décor rétréci de la pièce. Le choix de la langue est là aussi pour en témoigner, des passages sont dits dans une langue autre que l'arabe en émaille par intermittence la trame. Mais la force du personnage n'est trop bien exprimée que dans sa langue à lui, celle qu'il s'approprie et moud comme l'on moud un bon café. Un café qu'il veut se préparer sans pouvoir le faire. Il ne peut quitter son réduit et aller à la cuisine. Entre deux murs cloisonné et deux langues qui le désarçonnent, l'on remarque une seule envie : sentir l'odeur du café et le préparer comme le font des gens humbles qu'il a laissés là-bas, au-delà de la limite de cette ville martyre. C'est, tout compte fait, la solitude du créateur qui n'a pas pour seul compagnon, que les livres et l'image de la mère. Une mère dont il a hâte de boire son café. Cette nostalgie du café, on l'a retrouvera souvent dans d'autres poèmes de Darwich. Le café c'est la terre perdue, c'est cette envie de tout quitter pour la retrouver. Le metteur en scène et l'interprète de la pièce est un Franco-Palestinien qui a monté la pièce, en avril 2007, à Ramallah dans les territoires occupés et Mahmoud Darwich venu de Jericho, l'a apprécié. François Abou Salem, de père palestinien et de mère française, auteur, metteur en scène, se verra parmi les figures qui ont mis en place El Hakawati, « figure incontournable et presque solitaire du théâtre palestinien ». Après une quinzaine d'années passées en France, il fera un retour en Palestine en faisant de la résistance et en donnant aux petites gens la force de résister grâce à la culture, seule terre de ceux qui n'en ont plus.