C'est à l'unanimité des cinq membres du jury international, présidé par la cinéaste tunisienne Selma Baccar, que le court-métrage Sektou (ils se sont tus) de l'Algérien Khaled Benaïssa s'est vu, décerner samedi dernier, le Taghit d'Or du meilleur court-métrage, distinction rehaussée par l'acquisition de la Caméra d'or octroyée au meilleur film algérien. En compétition avec 25 autres films issus du Maghreb, du Monde arabe et d'Europe, Sektou réunissait suffisamment de qualités pour emporter l'adhésion du jury dont nous faisions partie.Pour son troisième opus, Khaled Benaïssa, par ailleurs comédien, a exprimé un rare talent à mener un récit en réunissant tous les éléments qui font du genre un exercice singulier. Le court métrage est au long métrage ce que la nouvelle littéraire est au roman. Le sens de la chute doivent se fondre dans une certaine alchimie. Sektou parle de la vie d'un quartier populaire d'Alger. Mêlant humour et gravité, le film développe une forme de dramaturgie ancrée dans le réel des Algériens où le danger terroriste (en l'occurrence une voiture piégée) est omniprésent. Mais au-delà du sujet, ce sont les qualités cinématographiques de l'auteur qui fondent la force du film. La galerie de portraits, tous bien croqués, donne une densité humaine à Sektou. Mais la palette de Benaïssa ne se limite pas à cela. Il y a là un scénario, un découpage et une direction de la photographie dignes de ce nom. S'il garde les pieds sur terre, en sachant toujours s'entourer au niveau de la production (producteur Samir Messaoudi) et de l'équipe technique, il peut aller loin et s'affirmer davantage, lorsqu'il abordera son premier long métrage, actuellement en cours d'écriture. Qu'il garde surtout son énergie créatrice et cette humilité qui l'ont amené à savoir œuvrer au sein d'un collectif talentueux de trentenaires incluant son comédien Hichem Mesbah. Une jeune génération attachée au film d'auteur, mais qui a compris que ce cinéma-là doit tendre vers l'expression la plus populaire, à l'instar de Lyès Salem. La satisfaction est aussi grande quant à la qualité globale de la sélection algérienne. Goulili (dis-moi) de la jeune Sabrina Draoui, dont nous avons déjà écrit tout le bien qu'on en pensait lors des JCC de Tunis. Amar Si Fodil, dont Le Doute, en langue amazigh, recèle des promesses incontestables pour peu que ses scenarii s'écrivent désormais à plusieurs pour servir ses qualités réelles de cinéaste. Quant à Comme une abeille, le talent de son réalisateur, Mounès Khemmar, est avéré dans l'art du super court (3 mn 40). Le 2e prix par ordre d'importance (meilleur réalisateur) est allé au Tunisien Ridha Tlili pour Ayan Kan, qui a su, non sans courage, recréer l'atmosphère oppressante d'une société tunisienne où la présence policière marque la limite des « démocraties » du Maghreb. Le 3e prix, celui du scénario, est venu récompenser naturellement deux réalisateurs jordaniens, Hazim Bitar et Rifqi Assaf qui, avec La Vue, ont déplacé le curseur du point de vue sur le conflit israélo-palestinien. Le dispositif filmique ingénieux enferme dans la visée d'un sniper israélien des personnages de combattants palestiniens dont on n'entend jamais les voix, les seuls dialogues entendus étant ceux échangés entre les deux soldats de Tsahal.Le prix d'interprétation masculine a été décerné au chorégraphe danseur Aurélien Desclozeaux, « acteur » unique du film de Marie Vanaret O.S. (ouvriers spécialisés). Partant de l'afflux massif de travailleurs maghrébins orchestré par l'Etat français dans les années 1950, la réalisatrice a commis un court d'une grande originalité. Le prix d'interprétation féminine a récompensé la Marocaine Asma El Hadraoui qui a su renouveler par sa sobriété un personnage récurrent du cinéma maghrébin, celui du fou, souvent surjoué. Son interprétation a enrichi le récit magistral de Mohamed Nadif, à la fois comédien et réalisateur de son film La jeune femme et l'instit. Cette 2e édition a eu lieu quelque temps après le changement à la tête de la Télévision algérienne, principal organisateur du festival. Aussi, doit-on espérer que cette belle initiative continue à se développer autour de Yasmine Chouikh, Nabila Rezieg et une jeune équipe efficace et accueillante. Il se dit que le festival du court de Clermont-Ferrand serait très menacé. Sans nous enchanter d'une telle nouvelle, ce serait une opportunité de positionnement international pour le Taghit d'Or. Mais pourquoi ne pas penser à Bou Saâda où de meilleures infrastructures hôtelières et de projection et la centralité géographique permettraient d'attirer de jeunes réalisateurs et des cinéphiles pour lesquels la magnifique Taghit reste hélas très éloignée…