Si vous trouvez plus opaque, plus nébuleux, plus sibyllin que notre système, dites-le nous. Et après on pourra penser à loisir en haut lieu que notre presse — celle bien sûr qui n'est pas subordonnée au pouvoir — est par trop négativiste en voyant des scandales partout. Un puissant du clan présidentiel vient d'être limogé, mais personne ne saura jamais pourquoi. Ce n'est pas nouveau, on le concède, puisqu'on a toujours été astreint à cette loi du silence qui a frappé les démissions forcées des Sellal, Tebboune et autres avant eux. Un ponte du système, et de surcroît qui passait pour être un très proche du cercle présidentiel, vient à son tour d'être subitement écarté et aucune explication n'est donnée au peuple. Hamel n'était quand même pas n'importe qui dans ce système. Il était général-major et patron de la police. Pour une déclaration à chaud devant les journalistes — du moins c'est la lecture qui est faite — à propos de l'affaire de la cocaïne, il chute brutalement de son piédestal. A-t-il été trop loin, a-t-il franchi les fameuses lignes rouges dont personne ne sait où elles commencent et où elles finissent ? Une phrase, une allusion est c'est le basculement. Hamel a parlé de «dépassements» dans l'enquête sur cette même affaire de drogue dure menée jusque-là par la gendarmerie et a notamment dit que celui qui veut lutter contre la corruption doit être lui-même propre. Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que ceux que l'Etat a engagés pour mener la lutte anti-corruption ne sont pas eux-mêmes irréprochables en matière de probité et d'intégrité. Quand c'est l'ex-premier flic d'Algérie qui le dit, ça prend inévitablement au plan médiatique une autre dimension et donne surtout du crédit à tous les lanceurs d'alerte anonymes ou issus de la société civile et des partis démocratiques qui se sont échinés en vain à dénoncer la gabegie qui infeste les hautes sphères. Au lieu de désembrouiller le terrain, il a au contraire davantage enfoncé le clou en mettant encore plus à nu le pourrissement du système à partir du moment où ses représentants parmi les plus significatifs sont accusés de manquer de droiture et de rectitude, voire carrément de moralité. Si l'affaire de la cocaïne a été un révélateur sur les graves dissensions claniques du système, elle aura en tout cas servi à faire monter en surface des conflits d'intérêts et des trafics d'influence auxquels n'aurait certainement pas échappé l'ex-chef de la DGSN. Derrière ses allégations, c'est tout un processus d'adversité qui s'est déclenché en tenant compte du rapport de force dominant. A-t-il, cependant, fait sa déclaration avant ou après son limogeage ? Si c'était avant, pourquoi a-t-il attendu tout ce temps pour sortir de son silence et jouer au moralisateur alors que son propre chauffeur (ou celui de la DGSN) est impliqué dans le scandale en question ? Si c'était après, sa fracassante mise au point ne pourrait alors être considérée comme neutre. Elle a forcément une cible précise, un destinataire en prenant la forme d'un règlement de comptes. Ce type de situation est chez nous instinctivement placé sous le vocable simpliste de «lutte de clans». Dès que le nom d'un puissant du régime est associé à une histoire sordide, à un scandale financier, ou à une affaire de déclassement politique les langues se délient mais sur la base de spéculations, jamais sur des informations probantes. Dans ce brouillard, ce sont les chancelleries qui perdent le plus leur latin tant la visibilité des événements reste difficile à concevoir. Cela dit, Bouteflika (ou son cercle ?) a décidé de débarquer Hamel en ne mettant même pas les formes. Dans cette histoire, il faut retenir que le régime n'a aucun scrupule à se débarrasser de ses plus fidèles serviteurs dès que ceux-ci sortent des rangs et entonnent une autre musique. Hamel, qui faisait figure à travers l'institution qu'il dirigeait d'un solide soutien du Président auquel il a fait preuve de loyauté à toute épreuve, est donc le prototype de «dissident» par défaut au système sur lequel il ne fallait pas badiner. Et pourtant, hier il était intouchable dans son périmètre. Mieux, on le donnait comme probable candidat à la succession au Palais. Faut-il croire pour autant que sa profession de foi à propos de la cocaïne n'était qu'un prétexte pour le dégommer alors que la raison essentielle était dans la manifestation brumeuse d'une ambition présidentielle qui a résonné comme un crime de lèse-majesté, ou plutôt comme une déclaration de guerre au moment où les pions se mettent un à un en place pour un cinquième mandat que nul parmi les affidés ne saurait défier ? On saisit dès lors toute l'ingéniosité du Premier ministre à faire le dos rond pour ne pas susciter la colère du Président-Souverain alors qu'il brûle d'envie intérieurement de tenter sa chance pour concrétiser la prophétique projection qu'il avait faite concernant la rencontre d'un homme avec son destin. Ouyahia, en calculateur avisé, sait que si par malheur il oserait simplement effleurer le sujet d'une éventuelle candidature à la présidentielle alors que Bouteflika n'a encore pris aucune décision officielle sur son avenir, ce sont les foudres du bannissement qui tomberaient sur lui. Il sait de quoi il retourne lorsqu'il affirme qu'il ne se présentera jamais comme adversaire de ce dernier sachant à l'avance qu'il serait perdant sur toute la ligne. Le mieux pour lui est de garder le contact en attendant des jours meilleurs. Il faut donc être un invertébré patent pour survivre au système, et c'est ce que ne semble pas avoir compris Hamel en se croyant suffisamment fort pour pouvoir donner, sans risque d'un retour foudroyant de manivelle, un coup de pied dans la fourmilière. Il a été sûrement trop intempestif ou pas vigilant du tout. Le résultat est là : il a joué avec le feu et s'est brûlé au passage. Son cas nous pose dans le tas la question de savoir si nous allons encore longtemps vivre avec de tels procédés qui sont l'antithèse d'une gouvernance transparente dans laquelle les acteurs ne se jugent pas entre eux mais sont jugés par la société. En d'autres termes de savoir pour combien de temps encore survivra ce système obscur, où les règlements de comptes au sommet ont plus d'importance que l'intérêt qui doit être accordé au citoyen.