Coup de théâtre dans l'affaire de corruption dite Sonatrach 2. Alors que le premier acte de la pièce qui se joue sur les planches de la justice s'éternisait et s'échinait à mettre sous les feux des projecteurs des acteurs de second rang – bien qu'ayant un lien étroit avec ce scandale de par les responsabilités occupées à Sonatrach ou dans les réseaux d'affairisme qui se sont noués à l'ombre de cette entreprise – les principaux acteurs de la dramaturgie suivaient le déroulement scénique de derrière le rideau. C'est dans ce théâtre de l'ombre sur lequel il y eut tant de spéculations, se déclinant comme un feuilleton à rebondissements, que sont distribués et interprétés les rôles-clés de la représentation du scandale Sonatrach 2, dont on a tout fait jusqu'ici pour crypter le ou les noms des auteurs qui ont écrit et signé le scénario. Le déroulement de l'enquête judiciaire en Algérie et les inculpations sur lesquelles elle a débouché, relayant les enquêtes et les décisions allant dans le même sens de certaines juridictions étrangères, italienne et suisse notamment, a fini par entamer le potentiel de crédit de départ qu'elle avait soulevé au sein de l'opinion publique. A trop vouloir chercher à polir les angles en plaçant un garrot sur la plaie béante – au lieu de s'attaquer à la racine du mal – afin d'éviter l'hémorragie d'atteindre le cerveau et le cœur de la corruption, la justice laissait ce sentiment de marcher sur des œufs. Les déclarations de la chancellerie et du parquet se faisaient au compte-gouttes et les mots étaient rigoureusement pesés et soupesés. Car il ne s'agit pas d'une affaire de corruption de gestionnaires d'une entreprise économique ordinaire qui se règle en un tour de main au niveau de l'enquête judiciaire. La responsabilité de hautes personnalités de l'Etat dans ce scandale, à l'image de l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, contre lequel un mandat d'arrêt international vient d'être lancé ainsi qu'à l'encontre de son épouse et ses deux enfants, alors que son nom avait été cité depuis le début de l'affaire lors des auditions de certains témoins comme l'un des cerveaux du hold-up de Sonatrach, fait que cette affaire prend les contours du procès d'un système. L'inculpation de Chakib Khelil, dont on connaît la proximité avec l'entourage présidentiel sans l'appui et la complicité desquels cette corruption à grande échelle n'aurait jamais pu prendre racine et se développer sur plusieurs années, confère désormais à cette affaire une dimension politique qui était évidente dès le départ pour nombre d'observateurs. Ce scandale qui est, à l'origine, une affaire de délit (crime ?) économique se double désormais de la manière la plus officielle, avec l'entrée en scène de l'ancien ministre de l'Energie, d'un prolongement politique. Cette nouvelle donne versée au dossier devrait, en toute logique, faciliter le travail des juges pour poursuivre leurs investigations en vue d'étêter l'hydre de la corruption. L'opinion a du mal à croire en effet que la responsabilité s'arrête à Chakib Khelil et ne va pas au-delà, dans les sphères des décisions politiques. Le tout est de savoir si la justice algérienne, qui ne peut pas demeurer indifférente au flot d'informations parvenant des juridictions de certains pays étrangers qui ont un lien avec le scandale Sonatrach, aura les coudées franches pour affronter les vents violents qui s'annoncent déjà à ce stade de l'enquête. La réponse à cette question est elle-même conditionnée par le fait de savoir ce qui s'est passé dans les arcanes du pouvoir pour que l'ancien ministre de l'Energie, qui est connu pour être un homme fort du clan présidentiel, soit lâché par les siens. Si tant est, bien sûr, que son inculpation puisse réellement être le signe d'une liquidation pleinement assumée, résultant d'un fonctionnement républicain des institutions et d'une justice qui n'obéit plus qu'à la loi. Rien n'a changé dans la configuration du système pour le penser. Reste alors les autres pistes, qui consistent à se demander si Chakib Khelil n'a pas servi, lui aussi, de fusible pour empêcher l'enquête de monter plus haut, à l'image du procès Khalifa. Il a été donné en offrande en guise de sacrifice suprême pour sauver le clan, «l'honneur de la tribu». Certains vont plus loin encore dans le décryptage de ce film muet mais tellement parlant tant tout est sur la place publique, en estimant que l'inculpation de l'ancien ministre de l'Energie ressemble, à s'y méprendre, à une vente d'un produit deux en un. En donnant l'impression de retirer la couverture politique au ministre, ses protecteurs au sein du clan présidentiel pensent faire d'une pierre deux coups. D'une part, circonscrire et maîtriser l'incendie qui se rapproche dangereusement, par cercles concentriques, des allées du pouvoir et, d'autre part, sauver le soldat Khelil dont la justice algérienne aura du mal, on le sait bien, à récupérer le colis à travers son extradition, compte tenu de sa nationalité américaine. D'ailleurs, comme pour Moumen Khalifa, la présence de Chakib Khelil au procès – si procès il y aura – est-elle seulement souhaitée par les milieux du pouvoir, impliqués à un titre ou à un autre, dans le scandale Sonatrach ?