Kamel Chikhi, alias le boucher Le citoyen attend qu'on lui rende des comptes. Il veut des réponses. Non seulement parce qu'il s'agit là de la plus grande tentative d'introduction de drogue dure divulguée, mais surtout en raison du séisme qu'elle a provoqué dans les hautes institutions de l'Etat. Plus de 700 kilos de cocaïne ont été saisis au port d'Oran. Quelques déclarations, des limogeages et des purges sont opérés et puis plus rien. Silence radio. «L'enquête suit son cours» est-il lâché à ceux qui cherchent à «trop» comprendre. Pourquoi pareille attitude? Le citoyen s'interroge et à juste titre, pour quelle raison aucune information officielle n'est livrée au grand public sur un dossier aussi délicat, plus de deux mois après l'éclatement du scandale. La loi n'autorise-t-elle pas le procureur de la République à tenir une conférence de presse pour informer l'opinion publique des avancées de l'enquête sans que cela ne puisse porter atteinte au secret de l'instruction? Pour quelle raison donc on dénie ce droit au peuple? Il est temps de séparer le bon grain de l'ivraie et l'opinion publique est en droit de connaître toute la vérité. Le citoyen attend qu'on lui rende des comptes. Il veut des réponses. Non seulement parce qu'il s'agit là de la plus grande tentative d'introduction de drogue dure divulguée, mais surtout en raison du séisme qu'elle a provoqué dans les hautes institutions de l'Etat. D'une affaire de narcotrafic, la saisie de 701 kg de cocaïne s'est vite transformée en scandale politique et l'«omerta» médiatique qui l'entoure laisse place aux spéculations les plus folles qui n'en finissent pas d'alimenter la rumeur, d'éclabousser des personnalités et de salir des réputations. Des noms, de ceux qui ne sont peut-être pas du tout impliqués dans cette affaire, sont donnés en pâture et ceux de vrais coupables demeurent, probablement, camouflés. La révélation de cette affaire au grand jour, faut-il encore le souligner, a eu l'effet d'une tornade. Kamel Chikhi, le présumé principal accusé, plus connu sous le sobriquet «Kamel El boucher», a emporté dans sa chute de «grosses pointures». Il est du domaine public aujourd'hui que le limogeage de l'ex tout-puissant chef de la police, Abdelghani Hamel, est lié à cette affaire et aux déclarations de ce dernier. De même que le changement opéré à la tête de la gendarmerie ou encore les départs de deux généraux et ceux d'une multitude de cadres de la direction générale de la Sûreté nationale (Dgsn). Il y a aussi les mises à la retraite et les mutations opérées dernièrement dans plusieurs ministères comme celui de la justice ou encore au sein de l'administration publique. En fait, tout départ et tout limogeage est de fait relié par la vox populi à ce scandale. Et quelquefois à tort. Mais si ces départs sont réellement liés à l'affaire de trafic de cocaïne, cela renseigne au moins sur la main de fer avec laquelle le président de la République a décidé de frapper pour couper l'herbe sous les pieds des narcotrafiquants et des corrompus. Cependant, rien n'est clair aujourd'hui et seules des déclarations officielles sur ce dossier peuvent mettre le holà aux rumeurs. Il faudra toutefois ne pas prendre le peuple pour un dupe et veiller à lui servir des explications probantes. Répondre à ses interrogations, comme celle de savoir comment le jeune quadragénaire Kamel Chikhi s'est converti dans l'importation de la viande congelée, est devenu un magnat de l'immobilier et avec quelles complicités il a tenté d'introduire une quantité aussi importante de cocaïne? Le citoyen cherche à comprendre les déclarations de l'ex Dgsn qui sont très lourdes de sens et qui peuvent sûrement aider la justice à élucider un certain nombre d'énigmes qui entourent l'affaire, surtout que ce dernier a affirmé détenir des informations sur le dossier. La justice va-t-elle l'entendre sur ce qu'il sait, pour avancer dans l'enquête? En déclarant que «celui qui doit s'occuper d'anticorruption doit avoir les mains propres», l'ex Dgsn a ouvert grande la porte aux confusions et aux interrogations. Pour le citoyen lambda, de par son poste, l'ex patron de la police ne pouvait pas dire des choses aussi importantes sans avoir des éléments en sa possession. Est-ce le cas? Ou était-ce juste des paroles visant à induire l'opinion en erreur? Seule la justice peut donner la réponse. Seul le représentant du ministère public peut mettre fin au climat délétère qui s'est installé, accentué par certaines «révélations» propagées par les médias et les réseaux sociaux. Il peut dire qui est mêlé au trafic de la drogue? Qui a été corrompu et qui a joué de son influence en contrepartie d'indus privilèges? La justice peut dire quelle est la part de vérité dans ce qui se raconte sur les colonnes de la presse et dans les cafés. Le citoyen a besoin de le savoir. Car, il s'agit de l'Algérie, son pays qui est loin d'être une République bananière. Il s'agit aussi de ses institutions et de ses responsables et hauts cadres qui ne sont pas tous des corrompus. Certes dans chaque panier, il peut y avoir une pomme pourrie, mais lorsqu'elle est retirée, le tas ne risque pas de se gâter. Le citoyen le sait. Il y croit dur comme fer, mais a toujours besoin d'être rassuré par la justice dans laquelle il a une confiance aveugle.