La Philharmonie de Paris célèbre les voix et les courants musicaux du monde arabe sur une période de plus de quinze siècles. Vidéos, photographies, instruments de musique, extraits de films, affiches, dispositifs éducatifs, ludiques et interactifs, ambiance sonores immersives et costumes de scène rendent compte de la richesse du patrimoine musical de cette contrée du monde. L'exposition est visible jusqu'au 19 août. Structurée en deux parties, l'exposition Al Musiqa propose un parcours historique à travers les univers, les cultures, les répertoires et les pratiques musicales arabes, de l'époque de la Jahiliya (ignorance), période préislamique, aux scènes contemporaines des capitales arabes. Le terme musique est employé au pluriel, car l'exposition met en lumière la diversité et la vitalité des pratiques poétiques et musicales ancestrales et contemporaines, profanes et sacrées, populaires et savantes, des sociétés ayant la langue arabe comme point commun. De la poésie chantée bédouine à la qasida, poésie classique Immersion dans le désert d'Arabie. Sur un écran géant, une procession de chameaux avance sur le sable. A l'époque préislamique, la vie culturelle est dense. La poésie est l'expression littéraire en vogue. Les qayna, les esclaves chanteuses et courtisanes chantent, récitent des poèmes, animent des cérémonies festives. Les chameliers déclament des poèmes chantés (huda) suivant les pas rythmés des chameaux. Les jeunes bédouins pratiquent le nasb, art musical oral. Dans les villes, la qasida, genre poétique de nature savante, est très prisée. Ces longs poèmes composés d'une seule rime et de plusieurs vers sont déclamés ou chantés. Les pratiques mélodiques de l'islam Arrivée de l'islam. Les pratiques musicales sont de nature religieuse : célébration de la naissance du prophète (Mawlid Ennaboui), pèlerinage à la Mecque… La psalmodie du Coran (Tajwid) et l'appel à la prière (al adhan) lancé par le muezzin (mu'adhdhin) aux fidèles, sont les pratiques mélodiques de l'islam. Bilal ibn Rabah est le premier muezzin à avoir fait l'appel à la prière à Médine, dans la mosquée de Quba. Ce moment historique est mis en scène à travers le film Le message (1977) du réalisateur syrien, Moustapha Akkad. La musique de cour et la musique arabo-andalouse Période des Omeyyades. Damas est sacrée capitale des arts et de la culture. Cette société de jouissance porte aux nues les poètes et les musiciens. La musique est pratiquée par les esclaves et les hommes libres. Lorsque les Abbassides prennent le pouvoir, Bagdad devient la capitale des arts, de la vie intellectuelle et musicale. Ibrahim et Ishaq Al Mawsili (père et fils) sont les musiciens représentatifs de cette période. La musique arabo-andalouse est célébrée à travers un dispositif évoquant le musicien Zyriab (Abu Hassan Ali ben Nafi – 789- 857), créateur de la Nouba, une suite instrumentale et chantée. Il a aussi transposé le chant grégorien dans le malouf (musique arabo-andalouse en Algérie, Tunisie et Libye) et le melhoun (poésie populaire écrite en arabe maghrébin). Les musiques mystiques : rythme hypnotique, recueillement et méditation Cette section met en lumière les pratiques poétiques et musicales des soufis en Afrique du Nord et en Afrique sub-saharienne. Le Samâ (l'audition mystique et spirituelle), «récitation chantée des poésies mystiques par les maîtres soufis», est une pratique collective ayant lieu dans une zaouia, espace dédié à la prière et au recueillement où les membres de la confrérie s'adonnent à la pratique du zikr (évocation des noms de Dieu). Deux vidéos reconstituent l'ambiance des cérémonies mystiques : La lila de derbeka (La nuit de la possession), réalisée par Franck Cassenti en Tunisie et La dernière danse, du réalisateur-photographe, Augustin Le Gall. La musique arabe au XIXe et XXe siècles : l'Egypte, «oum edounia» («mère du monde») L'Egypte, Centre cultureldu monde arabe. La musique prend son élan grâce au compositeur égyptien Mohamed Uthmän et le chanteur Abul Al Hamûli. Le Caire et Alexandrie sont au sommet de leur gloire. La musique est omniprésente, dans le théâtre et le cinéma. Une galerie de tableaux réalisée par l'artiste égyptien, Chant Avedissian, (Icons of the Nile -1991-2010), met en scène des portraits de chanteurs, chanteuses, comédiens et comédiennes emblématiques de cette période : Abd El Halim Hafez, Farid El Atrache, Ismahane, Leïla Mourad… Le visiteur peut admirer les belles robes d'Oum Khaltoum, la diva de la chanson égyptienne. Les musiques de l'exil : de la Seconde Guerre mondiale aux années 2000 La première génération est constituée d'hommes d'origine paysanne, notamment, et ouvriers. Ils sont musulmans, juifs, arabophones, Kabyles. Musiciens pour certains, chanteurs pour la grande majorité, ils se produisent dans des cabarets orientaux créés à partir de 1920, dans le quartier de Saint-Michel (Tam Tam, El-Djazaïr, Casbah…). Abdelhamid Ababsa, Missoum Chérif, Slimane Azem, Kamel Hammadi, Chérif Kheddam, H'nifa, Salim Halali, Warda, Bahia Farah sont les artistes représentatifs de cette première génération. A partir des années soixante, ils investissent les cafés, lieux de rassemblement, de rencontre, de loisirs, de détente, de ressourcement et de découverte des talents. Les thématiques des chansons sont liées à l'exil : nostalgie, vie d'ouvrier et d'exilé, errance, séparation… Affiches, photos, vidéos, un scopitone des années 1970, tables en formica, jeux de dominos reconstituent l'ambiance caractéristique de ces cafés. Années 1980. Renouvellement de la musique raï (en arabe : opinion). La génération des chebs fait son apparition. Cheb Khaled et cheb Mami sont représentatifs de la deuxième génération. Les «révolutions», internet, les réseaux sociaux et la musique… Capitales arabes aux lendemains des mouvements de contestation. De nouveaux styles musicaux font leur apparition. Inspirées des musiques du patrimoine arabe et des sonorités occidentales, ces musiques de type engagé sont enregistrées dans des «home studios» (studios à la maison) et diffusées sur internet et les réseaux sociaux. Les chaînes satellitaires aident à la diffusion des nouveaux styles musicaux. La jeunesse joue un rôle important dans la création et la diffusion de ces musiques underground telles que le néo-dabké d'Omar Souleiman, le pop-rock du groupe libanais, Mashrou Leila, (le projet d'une nuit en arabe), l'électro-chaâbi de l'Egyptien Islam Chipsy, la danse «mahragan» (festival), version électronique de la musique chaâbi. Né dans les quartiers pauvres du Caire, ce genre de musique aux sonorités très rythmées s'est répandu dans tous les milieux cairotes. Dans cette grande salle, les visiteurs sont invités à se poser sur des banquettes pour écouter les musiques post «révolutions arabes». Dans cet espace qui reconstitue l'effervescence des révoltes populaires, une photo attire le regard. M. Anis est assis sur un lit déchiqueté, dans une chambre ravagée par une explosion. Autour de lui, la vie s'est éteinte. M. Anis fume la pipe. Son regard absent est posé sur un gramophone qui diffuse de la musique. La musique ! C'est ce qui reste à M. Anis dans ce monde déshumanisé. La musique est sa consolation. C'est sa lueur d'espoir. C'est sa résilience. C'est la musique qui lui permettra de faire renaître la vie des cendres qui jonchent le sol de cette chambre qui prend l'allure d'un champ après la bataille. Si pour Aristolte, «la musique adoucit les mœurs», dans le cas de l'exposition Al Musiqa, la musique est créatrice de lien entre les peuples. En effet, c'est par le prisme de la musique que la Philharmonie s'est lancé le défi de montrer la richesse et la diversité du patrimoine musical des sociétés arabes. Tout au long de l'exposition qui s'adresse à tout type de public, l'œil se délecte, l'oreille capte les sons musicaux variés et harmonieux qui se dégagent de chaque section. La musique devient ainsi un objet médiateur dont l'objectif est «de montrer tout le potentiel mais aussi l'urgence de changer de point de vue» à l'égard de ces sociétés qui nous paraissent étrangères, étranges, lointaines mais ô combien familières et proches.