Dix secondes. C'est à peu près le temps qu'il faut pour une roquette Qassam tirée de la bande de Ghaza pour atteindre les villes et les kibboutz dans un rayon de vingt kilomètres autour de la frontière. De notre envoyée spéciale à Sderot (au nord de la frontière avec Ghaza) Soit le temps dont on dispose pour trouver un abri une fois l'alerte donnée. Ou si l'on se trouve dans la rue, s'allonger ventre à terre et mettre ses mains sur la tête. Attendre le sifflement et le bruit assourdissant de l'explosion. Ainsi va la vie à Sderot, située à vol d'oiseau à 600 m de la frontière nord de la bande de Ghaza. Par route, à deux ou trois kilomètres. « Depuis le début de l'offensive israélienne en décembre, c'est plus calme qu'avant ! Aujourd'hui, nous en sommes seulement à la cinquième alerte en cinq ou six heures, plaisante Georges Adjedj, un des responsables de la mairie. Nous vivons cela depuis 2001. Avec une moyenne de 1000 roquettes par an et parfois plus de 50 par jour, nous en avons reçu en tout plus de 7000. » Un chiffre contesté du côté palestinien où l'on relève que les tirs de roquettes par le Hamas n'ont commencé qu'en 2005. Fatigué de descendre aux abris tous les quarts d'heure, Adjedj se contente d'ailleurs de sortir du bureau et de rester dans le couloir dès que les haut-parleurs de la ville diffusent l'alerte : couleur rouge. Visibles des hauteurs de la ville, deux ballons équipés de caméras surveillent ce qui se passe sur le territoire palestinien. Les images sont envoyées dans un centre chargé de mettre ou non le système d'alerte en marche. « En sept ans, nous avons eu 17 morts et une centaine de blessés, poursuit-il. Mais les habitants sont traumatisés. La vie de nos enfants ne ressemble pas à celle des autres enfants dans le monde. On leur apprend à se mettre dans un abri en moins de douze secondes et s'ils ne réussissent pas, ils recommencent jusqu'à ce qu'ils y arrivent. Comme des bleus à l'armée. Je suis grand-père de quatre petits-enfants, dont le plus grand a 11 ans. Je n'ai jamais joué au ballon avec lui dehors. Dans la maison, ils vivent, même en hiver, avec une fenêtre ouverte pour être sûrs d'entendre l'alerte. » Dimanche, après deux semaines d'interruption des cours, les enfants de Sderot sont retournés à l'école, avec les encouragements de Yair Golan, du commandement militaire. « Ces attaques présentent un défi inhabituel », a-t-il expliqué aux élèves, selon le quotidien Haaretz. « Mais nous réussissons à le relever. Comment le sait-on ? Parce que vous êtes assis là. Cela est un symbole de votre courage. » Quasiment toutes les écoles et tous les jardins d'enfants ont été protégés par des constructions en béton ou en acier, comme les arrêts de bus qui ont un abri en annexe. Dans le quartier résidentiel de la ville construite dans les années 1990, après la vague d'immigrants venus de l'ex-URSS, les petites villas blanches ont toutes dans leur jardin la marque de fabrique Sderot : un refuge en forme de bloc carré, lui aussi peint en blanc. En deux semaines d'offensive, « quelque 400 maisons ont été touchées, dont une, trois fois de suite », nous explique un habitant. Mais la plupart du temps, les Qassam finissent sur des terrains vagues. Sauf la dernière, comme dans une loterie, tombée devant la maison du frère d'une employée de la mairie qui passe dans le couloir, le regard triste et le sourire désabusé. « Ce sont des roquettes artisanales. Le Hamas les fabrique avec des tuyaux – avant ils venaient en Israël pour voler les tubes des panneaux de signalisation – remplis de produits explosifs et de clous et autres boulons, précise Georges Adjedj. Avec le temps, ces roquettes se sont perfectionnées et atteignent 15 cm de diamètre et 2 m de long. Mais elles ne peuvent pas être téléguidées comme le sont nos roquettes Tomahawk, que l'on peut faire entrer par une fenêtre sans toucher à l'encadrement. Pour éviter de tuer des personnes innocentes. » Interpellé sur la responsabilité de l'Etat hébreu dans la mort de 900 Palestiniens et des milliers de blessés, notre interlocuteur reconnaît : « Ce n'est pas en versant du sang qu'on répare le sang versé. Mais avant le Hamas, les choses se passaient bien. Des entrepreneurs et des ouvriers de la bande de Ghaza venaient travailler chez nous. Jusqu'à ce qu'on commence à nous tirer dessus, sur les bus de ramassage scolaire, sur les maisons, sur les voitures. Combien de temps doit-on supporter ça ? En 2001, à la première roquette, on aurait pu tout bombarder au napalm. Et pourtant, on ne l'a pas fait. Parce qu'on n'est pas des Huns. Vous croyez que ça nous plaît de voir ces abris ? C'est moche pour le paysage, ça coûte cher et ça fait augmenter les impôts. » La fin de journée approche, les rues se vident. Les journalistes postés sur la butte en haut du village – où la vue donne sur la bande de Ghaza – attendent que la nuit tombe pour filmer les attaques israéliennes. Quatre hélicoptères Apache font leur ronde. « Non vraiment, se désole Georges. J'aurais préféré qu'on s'entende. Nous avons des plages magnifiques, on aurait pu construire de belles maisons, des complexes touristiques, développer l'économie. Oui. Tous ces morts, c'est injuste. Mais ce sont ces terroristes qui ont créé la pagaille, pas nous. »