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«Nous sommes face à un pouvoir devenu colon...»
Khawla Taleb el Ibrahimi. Universitaire, linguiste
Publié dans El Watan le 28 - 07 - 2018

– Pensez-vous que l'on soit dans un schéma typique de reproduction sociale, tel qu'il a été théorisé par Pierre Bourdieu notamment ?
Bourdieu nous a donné les éléments de réflexion sur la reproduction des élites, sur le système de formation, cependant, je me demande s'il faut utiliser les même outils, les mêmes catégorisations pour une société qui n'est pas suffisamment structurée quand on la compare aux sociétés, comme la société française qui a mis plusieurs siècles pour se constituer (...).
Il y a bien des élites en Algérie, mais quels ont été les processus de leurs formations ? On se rend compte que ce que nous appelons élites, au pluriel, sont en fait très fragmentées. A la fois par le processus de formation, la culture, la langue. Le choix des écoles par exemple, dont le choix langagier, mais pas seulement, est un choix d'une promotion sociale, économique.
Comment nos élites se sont constituées : vous avez d'abord les lignées tribales qui continuent à fonctionner. Car il s'agit d'un lien très fort. En dehors d'Alger, cas particulier, le critère d'appartenance est très prégnant. En Kabylie, dans le M'zab, le Sud, les Hauts-Plateaux, les Aurès. C'est dans les villes qu'émergeront d'autres facteurs comme la culture.
Nous avons des familles de lettrés. A côté de cela, bien sûr, vous avez quelques élites qui ont pu se constituer à partir de critères économiques, c'est-à-dire en étant possédantes et qui ont échappé au laminoir colonial : familles de grands propriétaire terriens, grands commerçants, comme la lignée Abbès Turki à Alger, de grandes familles de Tlemcen, à Constantine, qui allient souvent les activités libérales à la possession de grandes terres.
Ce n'est pas un hasard si on retrouve, scolarisés, dès l'ouverture de l'école française aux indigènes, les enfants issus de ces familles et qui vont devenir de grands avocats, médecins et qui adopteront, à travers les médersa, les positions intermédiaires de l'élite, c'est-à-dire, les Adel, les Bach Adel, et qui serviront de courroie entre la population indigène et le pouvoir colonial. Il y a aussi ceux formés dans les lycées franco-musulmans, et qui ont constitué l'épine dorsale de l'administration algérienne post-indépendance (...).
En fait, ce sont ces élites-là qui ont eu à gérer l'Algérie indépendante au niveau administratif et/ou économique. Une partie préexistait à la conquête coloniale et a pu préserver son capital après, l'autre s'est constituée grâce à sa proximité avec le pouvoir colonial, d'où l'accès à l'école pour sa progéniture.
Ce sont ces familles à différents capitaux qui ont formé le noyau de la bourgeoisie nationale. Le capital savoir, l'avoir, le capital économique qui s'est construit à travers le commerce avec le pouvoir colonial. Les Hamoud, Tamzali, les Bendimered, les Benjelloun, les Ben Badis, de grandes familles mais qui commerçaient, dans tous les sens du terme, avec l'ordre colonial. Y compris politiquement. Sans être compromises pour autant comme le furent les familles des Bachagha et Caïds.
Gilbert Meynier dans L'Algérie révélée raconte bien comment l'Algérie s'est construite dans l'entre-deux-guerres. Dans les années 1900, nous étions une société paysanne dans son écrasante majorité, qui se relevait du choc colonial, de toutes les insurrections, et entre 1918 et 1939, notre société allait complètement changer.
L'instruction va prendre un peu plus d'ampleur, ce qui ne veut pas dire que tous les Algériens avaient droit à l'école. Les Algériens allaient, au contact de la société coloniale, essayer d'absorber ce qui pouvait les transformer, parce qu'ils ont compris qu'il fallait utiliser les mêmes armes : c'est comme ça qu'ils s'investiront dans le mouvement sportif, culturel, créeront des associations, des partis politiques, des écoles, le scoutisme. Il s'agit là d'une formation d'élite.
Maintenant, il faut se demander : ce long processus allant jusqu'à 1962, stoppé brutalement par la Guerre de Libération, huit ans de violence contre la société algérienne, avec des pertes énormes en intellectuels, une partie de cette jeunesse algérienne qui pouvait la construire (instruite ou pas), soit ceux qui pouvaient constituer l'élite politique parce qu'ils avaient l'instrument du savoir, qu'importe qu'elle soit issue de la catégorie des grands possédants, comme les Harbi par exemple, ou qu'ils soient fils de lettrés comme Ahmed Taled Ibrahimi, ou issus de profession libérale comme Ferhat Abbas, d'officiers de carrière, qu'ils soient issus de l'armée française ou autre, tous ces gens, en 1962, n'ont finalement pas eu accès au pouvoir.
Le pouvoir ce fut le PPA-MTLD, le FLN, mouvement d'essence plébéienne. Pas au sens péjoratif. Ce sont donc les héritiers du PPA-MTLD qui ont le pouvoir en 1962, et le gardent encore aujourd'hui. Les autres n'ont jamais été des leviers du pouvoir, ils ont été dans le pouvoir, parce qu'ils ont occupé des postes, des positions politiques, de dirigeants, ministres...
Monsieur Harbi me disait : «Ils ont eu le pouvoir sur nos épaules.» Ces gens-là qui étaient des intellectuels, de vrais intellectuels, qui ont pensé l'Algérie d'une certaine façon (...). Ceux qui pouvaient constituer une véritable élite politique ont été mis sur la touche. A l'indépendance, justement, un processus de formation par le haut a été enclenché.
Pour asseoir son pouvoir, Boumediène, une bête politique, avait déjà balisé son parcours en utilisant Ben Bella, et avec lui, l'Algérie verra la constitution d'une élite qui n'est pas l'émanation de la société, même si l'école allait jouer un rôle, ça sera l'embryon de l'élite qui va gouverner l'Algérie dans les années 1980. Boumediène va s'allier avec certaines élites, l'élite francisante et l'élite arabisante, et les quelques bilingues au milieu… Des gens avec une double culture. Les élites traditionnelles, genre zaouia, Boumediène s'en méfiait, contrairement au Président actuel.
Boumediène s'alliera aussi avec un certain nombre de ses anciens compagnons qu'ils aient été dans l'ALN ou dans les organisations civiles du FLN en leur donnant des avantages économiques, exemple de Khalifa Laroussi, Salah Boubnider, Commandant Azzedine et autres. On a donc la constitution par le haut d'une élite économique qui va s'adjoindre, avec la petite élite économique traditionnelle, ce capital privé, qui n'était pas énorme mais qui existait, toléré parce qu'il avait été pourvoyeur de fonds pour la Révolution. Les élites politiques étaient dans le parti, Boumediène n'a pas dissous le FLN, mais l'a relégué à un rôle passif. Les seules élites qui comptaient à l'époque c'était l'armée et le Conseil de la Révolution.
L'armée, qu'elle soit formée des éléments de l'ALN ou par les anciens officiers de l'armée française, a commencé à constituer une caste qui allait à la fois détenir les pouvoirs politique et économique. C'est encore plus vrai aujourd'hui que l'armée investit le secteur économique. Un processus à l'égyptienne où l'armée est omniprésente en économie. J'ajoute que les «fils de», dont vous m'avez parlés, c'est là qu'on les retrouve le plus.
L'élite militaire dispose d'énormes pouvoirs, en s'alliant avec d'autres élites disposant de richesse économique et/ou d'un certain capital politico-culturel. Aujourd'hui, ces gens-là, nous ne les voyons pas, on voit les sous-fifres, présentés à l'opinion comme de grands trafiquants, mais la société algérienne n'est pas bête : elle décode, car elle sait que derrière ces gens-là il y a à la fois des dirigeants militaires et politiques et leurs enfants, fils de…
– Une progéniture sur laquelle on investit et qu'on protège comme on protège le fils et la fille de bonne famille ayant commis une bêtise...
Moi, je pars du principe que ces gens-là ont pris le pouvoir par un coup de force. Leurs enfants ne peuvent que reproduire le coup de force. Et ils s'imposent à la société par des coups de force. La société observe, concernée, car ce sont ses ressources qui sont pillées, non concernée parce qu'elle considère que ces gens ne font plus partie d'elle. Rejetés. Dans mon quartier, on est confronté à la prédation de ces gens-là : on détruit une maison sitôt le patriarche décédé, ancien président du haut comité de l'Etat...ses enfants ont fait un énorme trou dans le quartier pour faire quoi ?
Une promotion immobilière. Quand on a été se plaindre : «On nous dit que pouvons-nous contre les fils de ?» Encore une fois, on n'est pas en présence d'une reproduction au sens bourgeois, ce sont des prédateurs, des générations de prédateurs qui considèrent l'Algérie comme leur bien propre. Que ce soient eux, leurs enfants ou leurs petits-enfants, ils sont tous établis à l'étranger, preuve qu'ils ne perçoivent pas leur futur en Algérie, sinon uniquement comme une source d'enrichissement, et le pouvoir politique s'est transmis dans la même caste, militaire ou civile, mais toujours les mêmes.
Quand je vois le comportement de leurs fils, j'ai peur pour mon pays. Les grandes bourgeoisies occidentales se sont compromises ; elles ont fait notamment durant la Première et la Deuxième Guerres mondiales des choix politiques, économiques mais la grande majorité d'entre elles s'est investie dans la construction de leur pays.
Les Dassault, Lagardère, en France se projettent dans le cadre de leur pays. Nous qu'avons-nous, un Bouchouareb qui se fait un peu d'argent et qui va de suite le mettre à Panama, un Chakib Khelil qui (...). Nous sommes dans le schéma de la reproduction de la prédation. La reproduction d'une caste qui vit au détriment du pays et qui ne permet pas l'émergence d'une véritable élite politique, économique, parce qu'elle n'a pas d'intérêt.
Une génération qui n'a d'autre projet (national) que de se faire une place au soleil, car elle sait sa légitimité nulle et utilise les moyens de la correction, le chantage à la paix : moi ou le chaos. Nous avons une génération qui se réclame de moins en moins de la légitimité historique, et cette génération de fils de… qui construit pour leur grande majorité un avenir ailleurs, à l'étranger. La chance, et peut-être malheur, de l'Algérie est d'avoir cette armée là.
C'est grâce à elle que le pays ne s'est pas effondré, mais le pouvoir n'a jamais fait attention à la profondeur du pays. Regardez ce qui se passe en Kabylie, c'est quand même grave. Ce qui s'est passé dans le M'zab, dans le Sud à Tamanrasset, avec les Touareg. A In Salah. Et dans les pays voisins de l'Algérie. Je crois que le malheur de ce pouvoir est de ne pas faire confiance à ses élites. On est face à un pouvoir devenu colon. Les Algériens en ont cette impression et ils le disent tous les jours.
Dès lors, comment voulez-vous qu'il pense l'élite, qu'il pense l'Algérie de demain. La société, certes, a des ressorts, une partie profite de ce système politique, autrement ce pouvoir serait isolé et deviendrait comme les pouvoirs beylik, avec ses janissaires ottomans qui n'ont aucune profondeur sociale et qui se contentaient de représenter la Sublime Porte, de prélever l'impôt non sans provoquer chaque jour une révolte dans le pays.
Quelque part, on est dans cette configuration. Les colons, les janissaires, les «fils de» sont, dans l'imaginaire algérien, considérés comme des entités extérieures. Nous avons le même type de pouvoir, un pouvoir constitué en castes qui ne pense qu'à ses intérêts, et mettant en œuvre toutes les formes de reproduction possible. Par l'armée, l'accaparement de terres par concessions de 99 ans, par la privatisation du secteur public et la formation par les écoles privées, nationales ou étrangères, participent de la perpétuation de ce système. Les castes au pouvoir sont perçues comme étrangères à la société.


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