A partir de vos constatations et expériences d'avocat, quel est le degré d'implication des rejetons de la nomenklatura dans les affaires de corruption et, au-delà, dans les affaires d'atteinte aux biens publics ? Les enfants de la nomenklatura sont rarement impliqués dans des affaires judiciaires. Ça ne signifie pas qu'ils ne sont pas impliqués dans des malversations ou des atteintes au patrimoine public. En fait, le destin judiciaire des dossiers des enfants suit le destin politique de leurs parents. Les dossiers resteront sous le coude et seront versés dans l'oubli tant que leurs parents demeureront au pouvoir, mais aussi s'ils auront l'intelligence de partir dans la discrétion. Les dossiers dormants pourront, par contre, être déterrés dans le feu des purges ou des chasses aux sorcières. C'est l'ordre des choses dans les pays de non-droit où les justices sont assujetties au pouvoir politique. Dans notre système, les poursuites judiciaires sont engagées par les parquets qui disposent de l'opportunité des poursuites et qui reçoivent des instructions du ministre de la Justice, donc du gouvernement, organe technique et politique qui exécute les décisions du président de la République. Il faut penser à une sérieuse réforme qui affranchira les procureurs de la République de la hiérarchie administrative. Ensuite, une fois l'action publique engagée, «selon que vous êtes puissants ou misérables, les juges vous rendront blancs ou noirs». Tant que le parquet n'aura pas décidé de déclencher l'action publique, les déboires des enfants de la nomenklatura continueront, mais se limiteront à défrayer la chronique, susciter l'indignation de l'opposition et faire jaser le peuple profond. Pour l'anecdote, interrogé sur l'arrestation de son fils en possession d'un grand pactole en pleine campagne électorale, et bien parti vers une condamnation pour corruption et trafic d'influence, le secrétaire général du parti au pouvoir, ou du pouvoir, répondit : «Je fais confiance à la justice.» Il avait entièrement raison : l'affaire a été classée. Mais non oubliée, car la politique réveillera les affaires que la politique a endormies.