Entre le cinéma et l'histoire, le rapport est rarement apaisé. Il est extrêmement tendu entre les hommes de cinéma et les gardiens du dogme historique. Ils font souvent mauvais ménage. Le film Larbi Ben M'hidi de Bachir Derrais, qui risque de ne pas voir le jour, en est la parfaite illustration. Sa sortie bute sur le refus du ministère des Moudjahidine – coproducteur –, qui juge le biopic peu conforme à la conception qu'il se fait de l'histoire de la Révolution et de ses personnages centraux. Cet épisode fait remonter à la surface le débat sur la liberté de création artistique et intellectuelle qui se rapporte à l'histoire de la guerre d'indépendance. Une liberté doublement verrouillée. Par la pensée passéiste dominante, portée par une loi sévèrement contraignante. Dans son article 6, la loi du 17 février 2011 relative à la cinématographie stipule que «la production des films relatifs à la Guerre de Libération nationale et à ses symboles est soumise à l'approbation préalable du gouvernement». C'est une disposition liberticide parce qu'elle interdit, de fait, toute possibilité d'imagination, de création et de fiction, qui sont l'essence même du cinéma. Pis, c'est une loi qui vise à imposer une certaine vision de l'histoire. Celle qui sert à légitimer un ordre politique et idéologique. Avec elle, le pouvoir politique n'autorise que des productions cinématographiques aux fins propagandistes. Elle lui permet de décider de ce qui est «bon» à voir comme film. Surtout, elle a inauguré le retour à la pensée surannée du «grand frère» qui réfléchit et décide à la place du «peuple». Une attitude qui infantilise, considérant le téléspectateur algérien «inapte» à se faire son propre jugement. Et au final, elle consacre la mainmise de l'appareil bureaucratique sur la production artistique. Cela rappelle tragiquement les dégâts incommensurables causés par l'écriture officielle de l'histoire de la Révolution sous le régime du parti unique. Fondé sur le mensonge et l'occultation des faits historiques réels, le récit national en vigueur a été une grande supercherie. Cette ruse avec l'histoire se poursuit sous d'autres formes. Sinon, comment permettre à un ministère des Moudjahidine — qui n'a plus sa raison d'être — de financer des films et se donner un droit de regard, d'appréciation et d'autorisation. Il n'a ni la qualité ni la compétence. Une totale incompatibilité avec le cinéma dont la vocation est de nourrir l'imaginaire, de susciter la controverse, d'entremêler faits réels à des événements fictifs. Les films de mémoire – machine à remonter le temps – sont des œuvres artistiques qui participent à la survie des grands moments du passé. Mais ils n'ont pas pour tâche de calquer des «certitudes» contenues dans un récit officiel douteux. Empêtré depuis des années dans la série noire des faux moudjahidine, manifestement, ce ministère n'autorise que des films faux et tronqués. Celui sur Krim Belkacem est un modèle en la matière. La prise en otage de Larbi Ben M'hidi est la preuve que c'est un vrai film à voir.