Les quais inondés de grands fûts de concentré de tomate (CT), importés et déchargés sur le port de Skikda, donnent un aperçu de la situation véritablement catastrophique de cette filière de transformation agroalimentaire. Cette importation de quelque 25 000 t de triple CT de la Chine implique que l'engrenage pour la mise à mort de la filière tomate est sérieusement enclenché en Algérie. Elle est annoncée par les prémices de mise en faillite de quatre conserveries dans la région de Annaba. Mise au chômage de plusieurs centaines de travailleurs, arrêts des installations, dépôts surchargés de CT, résultat d'une mévente chronique des deux dernières années, non-paiement des fournisseurs et des agriculteurs, non-respect des délais de remboursement des crédits bancaires de campagne, rupture de contrats d'approvisionnement en tomate fraîche des unités de transformation et absence de toute commande d'emballage sont d'autres indices prouvant la tendance à la disparition totale de toute transformation de tomate fraîche en Algérie. « Ceux qui ont manœuvré pour nous détruire et détruire la production nationale de CT ont atteint leur but. Nous sommes les premiers à être confrontés à une situation financière négative irréversible. D'autres conserveurs devraient suivre à très court terme. L'intérêt particulier a prévalu sur celui national. Nous ne sommes plus en mesure de lutter contre ceux qui, du bas au sommet de la pyramide de notre économie et de notre commerce, veulent s'enrichir rapidement », a indiqué M. Meskache, gérant de la Société algérienne de conserveries alimentaires (SACA). Au-delà de l'équivalent de 3 milliards de dinars en CT en mévente chronique et des 15 000 postes de travail directs et indirects appelés à disparaître à court terme, cette faillite signifie un bouleversement total du paysage économique et social régional et national. En effet, il faut savoir que les quatre conserveries en situation de faillite cumulent plus de 20 000 tonnes de CT invendues. Apparemment, les appels de détresse lancés par la majorité des transformateurs, réunis au sein de l'Association des conserveurs de tomate (ACTOM) n'a manifestement pas attiré l'attention des pouvoirs publics. Ces derniers auraient même jugé que « cet intérêt national », dont parlent les conserveurs, n'exigeait pas qu'ils interviennent. Ce qui prouve d'ailleurs l'absence de tout communiqué du ministère de la PME/PMI des résultats des discussions sur la situation de la filière tomate entamées avec les conserveurs le 10 octobre 2004. Ces discussions auxquelles avait participé Sid-Ali Lebib, le directeur général des Douanes, avaient été présidées par le ministre de la PME/PMI. En réponse à leurs appréhensions, les conserveurs présents à cette réunion avaient dû se contenter de cette phrase exprimée par M. Lebib : « A partir d'aujourd'hui, le concentré de tomate est classé dans la zone rouge ». Pour bon nombre de conserveurs, les pouvoirs publics ont manifestement cherché à perturber le moins possible les importateurs de concentré de tomate. « On affirme que le concentré de tomate importé de Chine est une matière première. Or, il n' y a d'autre matière première dans cette filière de transformation agroalimentaire que la tomate fraîche. Plus grave encore, ce CT à 36% chinois est interdit d'entrée dans l'ensemble des pays européens pour différentes raisons touchant à la santé des consommateurs. Que ceux qui ont donné leur accord vérifient la véracité de nos affirmations auprès de leurs homologues européens ». Ces dernières années, les cabinets des ministres de l'Economie, du Commerce, de la PME/PMI et de l'Agriculture ont vu défiler bon nombre de transformateurs, agriculteurs et importateurs versés dans la filière du CT. Deux de ces derniers font actuellement l'objet d'une enquête judiciaire. Cette dernière, en passe d'être bouclée par la gendarmerie de Annaba, pourrait déboucher sur une mise en examen dans les prochains jours. Apparemment précis dans ses chiffres, validant les déclarations faites par le président d'Actom fin 2004 et confirmant les informations communiquées par la presse sur la situation aléatoire de la filière, M. Meskache, gérant de la SACA, s'est insurgé. Il a déclaré : « Tout autant que beaucoup d'autres conserveurs, je suis au bord de la faillite. Confronté à une mévente chronique de la totalité de notre production qui se chiffre à l'équivalent de 540 millions de dinars, soumis à une concurrence déloyale imposée par une importation massive et sauvage du concentré de tomate, acculé par les banques pour le règlement des créances avec menace de saisie de mon unité de production, je ne sais plus à quelle porte frapper pour éviter la faillite. J'ai déjà mis au chômage mes effectifs ». Ainsi déballé, le dossier du concentré de tomate algérien est relancé une nouvelle fois. Il empoisonne le climat économique et social du pays. Ne tirant guère les leçons des importations frauduleuses ou anarchiques du CT en provenance d'Asie, d'Europe et du Maghreb, les ministres concernés de près ou de loin, à des degrés divers, s'expliquent trop peu ou pas du tout pour lever tous les doutes quant à leur implication de ce qui apparaît être un sabotage économique. Si bien que les deux importateurs actuellement placés sous contrôle judiciaire dans le cadre d'une vaste enquête qui englobe plusieurs wilayas du pays, paraissent être deux simples fusibles prêts à sauter. Du côté d'Actom, M. Faouzi Hanafi préfère garder le silence. Ce nouveau développement défavorable à la filière devrait entraîner une baisse sensible de la production de la tomate fraîche. Plusieurs agriculteurs ont décidé de « laisser tomber » pour se mettre à d'autres spéculations. Disparition également de plus de 40% des 120 000 postes de travail entre permanents et saisonniers. Les perspectives immédiates sont très sombres à court terme. Malgré l'organisation d'une journée d'étude organisée récemment par la conserverie Benamor, au cours de laquelle le développement et la sauvegarde de la production nationale ont été soulignés, les divergences apparues dans le milieu des conserveurs n'arrangent pas les choses.