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« Lier la nationalisation du pétrole à son prix est inapproprié » Mohamed Benhaddadi. Expert en énergie et professeur associé à l'Ecole polytechnique de Montréal
Le guide libyen Mouammar Kadhafi a émis le vœu de nationaliser les compagnies pétrolières étrangères opérant dans son pays si le prix du baril de pétrole ne grimpait pas autour des 100 dollars. Bien avant lui, le président vénézuélien, Hugo Chavez, est passé par le même chemin. Evo Morales, le président bolivien, a nationalisé l'entreprise pétrolière Chaco. Quel commentaire faites-vous sur ces initiatives ? Je pense que lier les nationalisations futures du pétrole à son bas prix actuel n'est pas une démarche appropriée. Par contre, le Venezuela a entrepris un certain nombre d'actions qui lui ont permis de raffermir sa présence majoritaire sur la majorité des sites de l'Orénoque où le pétrole lourd est disponible à profusion, mais où la technologie de pointe détenue par les pétrolières est requise. La Bolivie de Morales est en train de se réapproprier ses ressources gazières, ce qui, somme toute, est naturel. Des experts sont allés jusqu'à dire que dans l'avenir l'on va vers des partenariats entre sociétés nationales. Etes-vous de cet avis ? Ce partenariat existe déjà. A ma connaissance et juste à titre d'exemple, les Russes opèrent en Algérie et Sonatrach opère en Libye. Ceci dit, ce n'est pas la panacée, mais plutôt l'exception et si les sociétés d'Etat pétrolières raffermissent à l'avenir leurs relations commerciales sur la base d'un intérêt réciproque, c'est tant mieux. Mais on ne doit pas perdre de vue qu'il n'y a pas de philanthropie dans les échanges internationaux où on ne se fait guère de cadeaux et où chacun doit trouver son compte. Ceci est valable pour les relations nord-sud comme pour le sud-sud. Partant de là, je ne vois pas pourquoi on doit privilégier une société russe si l'apport technologique et financier des Américains ou des Japonais est meilleur. Et cela, n'est pas de nature à changer du jour au lendemain. Les prix du baril du pétrole se maintiennent à des niveaux très faibles en dépit de toutes les décisions prises par l'Opep. Cela est-il de nature à motiver les sociétés pétrolières nationales à revoir la politique de partenariat avec les multinationales ? Pourquoi se tirer dans les pieds. Les multinationales pétrolières sont à tout point de vue intéressées par un prix élevé du pétrole. Le niveau actuel du prix (40 dollars/b) n'est pas faible par rapport au marché. Il est peut-être faible par rapport à son sommet de juillet (147 dollars/b) qui n'est pas la référence. Ceci dit, de par les réserves qu'elles détiennent, les sociétés d'Etat sont probablement en meilleure position pour négocier les futurs contrats avec les pétrolières qui ont jusqu'ici dicté les règles du jeu. Tout compte fait, les contrats jusqu'ici signés leur font le plus souvent la part belle. C'est cela qui pourrait être changé dans le futur. Quel sera, d'après-vous, la future réaction des sociétés internationales si l'onde de choc de cette nouvelle politique de nationalisation continue à toucher d'autres pays ? Il faut d'abord spécifier que les réserves de pétrole détenues par les multinationales sont faibles, de l'ordre de 10% du total mondial, alors qu'elles étaient de 60% au lendemain du deuxième choc pétrolier de 1979-1980. Aussi, la majorité de ces pétrolières n'ont pas été en mesure de renouveler leurs réserves ces deux dernières années. L'explication simpliste donnée est de dire que les riches Etats pétroliers ne donnent plus accès à leurs gisements potentiels et que même des expropriations ont été effectuées en Russie et au Venezuela pour ne citer que les plus importants... Pourquoi voulez-vous appeler les Américains pour exploiter votre pétrole si vous êtes capables de le faire vous-mêmes et donc de gagner plus, car vous n'aurez pas à partager. Ces mêmes Américains ont refusé de vendre à la Chine pour 18.5 milliards une société pétrolière californienne de 2e ordre ; ils ont préféré retenir une offre inférieure de l'américaine Chevron. Vous appelez cela comment ? Nationalisme ? Ces mêmes sociétés internationales n'ont pas hésité à faire du chantage à certains Etats (Russie, Algérie, Venezuela…) quand ces derniers ont écrémé leurs bénéfices ou récupéré une part plus substantielle des gisements. Finalement, aucune n'est passée à l'action, car elles se seraient tirées dans les pieds. Je pense que la récupération des richesses pétrolières par les Etats est un processus normal et naturel. La compagnie nationale Sonatrach est-elle, selon vous, en mesure de prendre une telle initiative ? Autrement, sera-t-elle sur le banc des gagnants dans cette affaire, sachant qu'elle est déjà partenaire de beaucoup d'autres sociétés nationales en Libye et ailleurs ? Sonatrach doit diversifier davantage ses activités et partenaires en Afrique et en Amérique du Sud ; elle bénéficie de préjugés favorables qui ne valent rien sans présence effective. Il faut oser prendre des risques.