De passage hier à Pékin au terme d'une tournée asiatique, le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, a échangé des déclarations peu amènes avec son homologue chinois, Wang Yi, selon les médias. Ce dernier a évoqué, à cette occasion, les mesures prises par Washington à l'égard de son pays. Passant de la guerre commerciale aux ventes d'armes à l'île rivale de Taïwan. «Ces mesures nuisent à la confiance mutuelle et jettent une ombre sur l'avenir des relations sino-américaines, ce qui va totalement à l'encontre des intérêts des deux peuples», a observé le chef de la diplomatie chinoise au début de l'entretien avec son homologue américain. «Nous exigeons que les Etats-Unis cessent ces actions malavisées», a-t-il soutenu, invitant les deux pays à coopérer afin d'éviter «de tomber dans le conflit et la confrontation». De son côté, le secrétaire d'Etat américain, qui n'a pas été reçu par le président Xi Jinping, a reconnu que les deux pays ont «des désaccords fondamentaux». «Nous sommes très préoccupés par les mesures adoptées par la Chine et je me félicite de pouvoir en discuter aujourd'hui, car il s'agit d'une relation extrêmement importante», a-t-il déclaré. Il a regretté l'annulation, selon lui, par la Chine d'une rencontre entre les ministres de la Défense des deux pays, qui devait avoir lieu en octobre à Pékin. Cet entretien «n'a pas été annulé par les Chinois. C'est un fait», a répliqué Wang Yi. La visite de Mike Pompeo survient après le discours, jeudi dernier, du vice-président américain, Mike Pence, devant un cercle de réflexion conservateur de Washington, à travers lequel il a fustigé la politique étrangère chinoise. Dans son intervention, il a accusé Pékin d'agression économique à coups de «vols» de technologies, d'agression militaire, notamment en mer de Chine, de violations croissantes des droits de l'homme et, surtout, d'ingérence politique afin d'obtenir le départ du président américain, Donald Trump. «La Chine a lancé un effort sans précédent pour influencer l'opinion publique américaine, les élections» législatives de novembre, «et l'environnement menant à l'élection présidentielle de 2020», a-t-il indiqué. Et de poursuivre : «La Chine s'ingère dans la démocratie américaine» et «pour dire les choses de manière abrupte, le leadership du président Trump fonctionne : la Chine veut un président américain différent». Mike Pence a reproché à Pékin d'«exploiter les divisions entre les niveaux fédéral et local» et d'avoir conçu une stratégie pour influencer les électeurs américains avant les scrutins cruciaux de mi-mandat, à l'occasion desquels le camp républicain risque de perdre la majorité au Congrès. «Plus de 80% des comtés américains ciblés par la Chine» à travers ses taxes douanières «ont voté pour le président Trump en 2016, et maintenant la Chine veut retourner ces électeurs contre notre administration», a-t-il estimé. A chacun ses raisons Le lendemain, la Chine a qualifié d'«injustifiées» et de «ridicules» les accusations de Mike Pence. Le vice-président américain «a lancé des accusations injustifiées contre la politique intérieure et étrangère de la Chine», qu'il a «diffamée en affirmant qu'elle s'ingère dans les affaires intérieures et dans l'élection américaine», a déclaré la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. «Il ne s'agit de rien d'autre que de parler en se fondant sur des rumeurs, de confondre le vrai et le faux et de créer quelque chose sur du vent. La partie chinoise est fermement opposée à cela.» «Il est tout à fait ridicule de la part des Etats-Unis de stigmatiser leurs échanges normaux et leur coopération avec la Chine comme étant une ingérence de Pékin», a déclaré Mme Hua Chunying. «La Chine obéit toujours au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres et nous n'avons pas d'intérêt à nous immiscer dans les affaires intérieures et les élections des Etats-Unis», a-t-elle relevé. Le 1er octobre, un responsable de l'US Navy a indiqué qu'un navire de guerre chinois s'est approché «dangereusement» d'un destroyer américain dans les eaux disputées de la mer de Chine méridionale, contraignant ce dernier à modifier sa trajectoire. Le destroyer lance-missiles USS Decatur effectuait dimanche ce que l'armée américaine qualifie «d'opération pour la liberté de navigation», quand il est passé à moins de 12 milles marins des récifs Gaven et Johnson, dans l'archipel des Spratleys – distance généralement admise comme constitutive de la limite des eaux territoriales d'une masse terrestre. Les îles Spratleys sont revendiquées par Pékin (qui y a construit des infrastructures militaires), les Philippines et le Vietnam. Le lendemain, le ministère chinois de la Défense a indiqué, dans un communiqué relayé par des médias, que «le fait que les Etats-Unis aient envoyé à plusieurs reprises leurs navires sans autorisation près des îles de la mer de Chine méridionale menace la souveraineté et la sécurité de la Chine et endommage sérieusement les liens militaires sino-américains, tout en portant gravement atteinte à la paix et à la stabilité régionales». Le ministère chinois de la Défense évoque des «provocations» et invite la «partie américaine à corriger ses erreurs». Le Pacifique constitue pour les Etats-Unis une des régions où sa présence est indispensable pour défendre ses intérêts. D'où l'œil vigilant de Washington quant aux conflits territoriaux entre pays de la région, où il compte, entre-temps, des alliés comme le Japon et les Philippines. Cependant, se déploie en face un concurrent économique puissant, la Chine, accusée par ses voisins d'ambitions expansionnistes. Dans cet échiquier où les enjeux sont complexes et énormes, Washington se pose en arbitre tout en étant vigile. Un statut qui l'expose à des frictions avec Pékin. Washington prône un règlement multilatéral et pacifique de ces conflits territoriaux entre la Chine et ses voisins. Ce qui est loin d'être la vision de Pékin, plutôt favorable à des négociations bilatérales. Le président Barack Obama a fait de la concrétisation la stratégie du «pivot» une de ses priorités majeures de sa politique étrangère. Basée sur les trois D (diplomatie, développement et défense), cette stratégie consiste en le déploiement de plus de la moitié de la flotte américaine en Asie-Pacifique, le renforcement des partenariats dans le domaine militaire avec les alliés de la région et le rapprochement avec la Birmanie, l'Indonésie et le Vietnam. Lors de sa visite en Australie en novembre 2011, le président Obama a déclaré que «les Etats-Unis sont une puissance du Pacifique et nous sommes là pour rester». De son côté, le président Hu Jintao a indiqué, dans son discours du 8 novembre 2012, que la Chine doit vite s'imposer comme une «puissance maritime» de rang mondial. Cependant, Pékin voit d'un œil hostile l'ingérence américaine dans la région. Lors du sommet de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) en 2010 au Vietnam, la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a indiqué que son pays a «un intérêt national» à préserver «une liberté de navigation» dans la mer de la Chine du Sud. Et à l'occasion de sa visite à Manille, en novembre 2011, elle a exprimé le soutien de Washington aux Philippines. Comme elle a rappelé le traité de défense mutuelle de 1951 entre Manille et Washington et déclaré que «les Etats-Unis seront toujours dans le camp des Philippines».