Réuni en début d'après-midi, le bureau de l'Assemblée nationale a déclaré, hier, la vacance du poste de président, après un sit-in de deux jours organisé par les députés de la coalition présidentielle. La déclaration n'a aucun habillage légal. Un coup de force contre le troisième homme de l'Etat, devant le silence de marbre du Conseil constitutionnel. Après avoir cadenassé, la veille, une des portes principales de l'Assemblée nationale et vidé le 5e étage, où se trouvent les bureaux du président et du personnel administratif, les députés de l'alliance présidentielle FLN-RND-Taj-MPA et le groupe des indépendants sont revenus hier à la charge en fermant les accès de l'hémicycle pour empêcher le président de l'APN, Saïd Bouhadja, d'entrer et le pousser à la démission. Ce que lui refuse catégoriquement et pour la seconde journée consécutive, il n'a pu rejoindre son bureau. Prétexte trouvé pour convoquer la réunion du bureau de l'Assemblée durant l'après-midi, qui s'est tenue en présence de huit membres sur neuf, en raison de l'absence de Bouhadja, son président, et un député du MSP. La séance est présidée par le plus âgé des députés, Hadj Laïb, et sanctionnée par une déclaration finale lue à la hâte, en présence d'une trentaine de parlementaires. «Vu que la majorité des députés, soit 351, ont retiré leur confiance au président Saïd Bouhadja, auquel, ils ont demandé de démissionner ; vu que ce dernier a refusé de répondre à la demande de la majorité des députés qui l'ont élu le 27 mai 2017 ; vu la situation d'impasse qui a engendré la paralysie des activités du Parlement, en raison de cette situation exceptionnelle et en vertu de l'article 10 du règlement intérieur de l'APN, nous déclarons la vacance du poste de président et nous chargeons la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés d'élaborer un rapport constatant la vacance, dans un délai d'une semaine, pour le soumettre en séance plénière à l'adoption de la majorité des membres de l'APN, dans un délai de deux semaines.» Il ne suffit même pas d'être juriste pour remarquer que la décision du bureau de l'Assemblée ne comporte aucune citation d'articles de loi, à l'exception de l'article 10 du règlement intérieur qui stipule : «En cas de vacance de la présidence de l'Assemblée populaire nationale par suite de démission, d'incapacité ou d'incompatibilité ou de décès, il est procédé à l'élection du président de l'Assemblée populaire nationale suivant les mêmes modalités prévues par le présent règlement intérieur, dans un délai maximum de quinze (15) jours à compter de la déclaration de la vacance. Le bureau de l'Assemblée populaire nationale se réunit obligatoirement pour constater la vacance et saisir la commission chargée des affaires juridiques. La commission élabore un rapport constatant la vacance et le soumet en séance plénière à l'adoption de la majorité des membres de l'Assemblée. Dans ce cas, l'opération de l'élection est dirigée par le doyen des vice-présidents non candidat assisté des deux plus jeunes membres de l'Assemblée populaire nationale.» Or, nous ne sommes ni dans le cas d'une démission ni dans ceux d'une incapacité, d'une incompatibilité ou d'un décès. Mieux. Les députés de la majorité semblent confondre entre vacance et incapacité. Saïd Bouhadja n'a jusque-là pas démissionné. Son poste n'est donc pas vacant. Les députés ont expliqué publiquement que leur sit-in à l'entrée du palais avait pour but d'empêcher le président de l'Assemblée nationale d'accéder à son bureau. Mais, peut-on parler d'une incapacité ou d'une vacance en cas d'une absence de 36 heures ? Une question qui a mis de nombreux députés de la majorité dans l'embarras. Ils s'accordent à reconnaître, mais anonymement, que «cette action ne repose sur aucun argument juridique». Les heures que nous avons passées sur le seuil du palais, en raison de l'interdiction faite aux journalistes d'y accéder, nous ont permis de sonder les parlementaires et de savoir qu'il n'y a aucun consensus autour de la gestion de l'affaire Bouhadja. D'abord en ce qui concerne cette décision de cadenasser les portes avec des chaînes métalliques, de vider de son personnel le 5e étage avec brutalité et de fermer toutes les issues. Nous avons tenté d'accéder par l'entrée du personnel, mais le président de la commission des affaires étrangères, Si Affif (FLN), accompagné de plusieurs autres députés FLN, dont Djamel Bouras, a violemment fermé la porte métallique à clé, laissant une grande partie des travailleurs bloqués dans la rue. Il aura fallu l'intervention d'autres députés pour que la décision de la rouvrir soit prise une heure plus tard. La tension et la nervosité pesaient lourdement. Une cinquantaine de députés au maximum sont dans le hall. Ils font des va-et-vient entre l'intérieur et l'extérieur. Certains sont fermés à toute discussion avec les journalistes, d'autres s'amusent à passer d'une caméra à une autre pour faire des déclarations, parfois interrompues par des «vive ammi Saïd», que lancent des automobilistes qui traversent le boulevard Zighout Youcef, en signe de solidarité avec le président, ou peut-être en signe de protestation contre ses opposants. L'ambiance n'est pas du tout sereine. Les altercations verbales entre députés et les remises à l'ordre dénotent la pesante tension. Enroulées autour des poignées de l'imposante porte d'entrée de l'Assemblée, les chaînes métalliques reliées à un cadenas sont toujours là. La majorité des députés se disent «indignés» par de tels actes qualifiés de «honteux», mais regrettent de «ne pouvoir rien faire pour enlever les chaînes». Ceux qui les ont installées sont là en permanence pour s'assurer de leur présence. Une piètre image que certains donnent de la 3e institution de l'Etat. 11h passées, les députés sont tous à l'intérieur de l'hémicycle. C'est l'heure du déjeuner. Une heure après, ils commencent à sortir, certains pour discuter avec les journalistes, d'autres pour se dégourdir les jambes. Vers 14h, la réunion du bureau de l'Assemblée s'ouvre et la déclaration tombe moins de 20 minutes plus tard. Dans une anarchie totale, les journalistes sont invités à entrer dans une toute petite salle, dont la moitié est occupée par les parlementaires. Après la lecture de la motion, le doyen des députés, qui a présidé la réunion du bureau refuse de répondre aux questions des journalistes. Le coup de force que les députés viennent d'opérer cible le troisième homme de l'Etat, et le Conseil constitutionnel reste muet…