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«Le rejet de la langue française est l'expression d'un conformisme sociétal»
Abderrezak DOURARI. Professeur des universités en sciences du langage et en traductologie
Publié dans El Watan le 25 - 10 - 2018

– Où en est l'Algérie dans son rapport à la langue française ?
L'Algérie cultive un rapport pour le moins ambigu à la langue française. D'un côté, c'est la langue étrangère la mieux maîtrisée par la société et par les acteurs du pouvoir algérien. Le Journal officiel (et c'est presque le cas de tous les textes) est rédigé en français, ensuite traduit en arabe, et on note sur la version française : traduction !
Pour faire un peu d'humour, on rappellera d'une manière fort instructive la situation ubuesque de l'absence de traducteur arabe scolaire-allemand lors de la visite d'Angela Merkel en Algérie, il y a quelques semaines. Le Premier ministre, qui s'exprimait en arabe scolaire, se fait interpeller par son illustre invitée sur l'absence de traduction arabe-allemand.
Il demande alors à la technique s'il y avait un traducteur arabe-allemand : elle lui répond que seule la traduction français-allemand avait été prévue. Impasse ! Immédiatement, il propose de faire en français son allocution prévue en arabe ! Ouf, il aura pu ainsi sauver l'honneur du pouvoir, dirons-nous, par son bilinguisme et par le truchement du français, car lui-même n'aura pas appliqué ses propres décisions d'arabisation totale et immédiate…
D'un autre côté, on lâche la bride aux conservateurs arabistes et islamistes qui font dans un discours de stigmatisation frôlant le ridicule, tartinant à outrance sur la langue du colonialisme, lui préférant l'anglais, qu'ils ne maîtrisent pas, tout en faisant mine de ne pas savoir que cette dernière fut une langue de colonisation au Moyen-Orient et en Afrique anglophone…
Mais quand il s'agit des études de leur progéniture ou de se soigner et même de mourir, ils partent, toute honte bue, en France ! En arabe algérien on dira : ma nhebek, ma nsberalik (je ne t'aime pas, mais je ne peux supporter ton absence) Il est évident que l'Algérie a besoin de diversifier ses connaissances en langues étrangères occidentales et asiatiques.
Cependant, en Algérie, objectivement, seul le français peut nous aider dans l'immédiat et rapidement à sortir du sous-développement scientifique et intellectuel qui nous étouffe comme une gangue, car cette langue de la modernité et de la science est déjà maîtrisée par une bonne partie de notre intelligentsia et les ressources scientifiques disponibles dans cette langue sont à profusion, en comparaison avec l'arabe scolaire.
Pour s'en rendre compte, il suffit de choisir un thème quelconque et de lui rechercher une bibliographie scientifique. En outre, la société ne perçoit pas cette langue, ni d'ailleurs la France, en dépit des discours idéologiques produits pour la convenance, comme véritablement étrangère. Seule une petite minorité, the happy few, dont je fais partie, maîtrise l'anglais, et le renouveau intellectuel et scientifique à l'échelle sociétale exige une masse critique.
– Selon les derniers chiffres de l'Organisation internationale de la francophonie, la langue de Molière est parlée par 11 millions d'Algériens. Qu'en est-il réellement ? Y a-t-il un recul dans la maîtrise de la langue française en Algérie, selon vous ?
Je ne sais pas comment cette organisation a pu construire ces chiffres. Ce type de chiffres n'est pas disponible en Algérie. Comme pour Tamazight ou l'arabe algérien. Le RGPH ne le prend pas en ligne de compte. Mais c'est le quart de la population algérienne ! Alors il faut s'entendre sur ce que signifie «parler» une langue. Le commun des Algériens n'est certes pas sourd à cette langue.
Tous sont familiers avec cette langue et sa culture, et l'on sait que parmi les Français, certains nous aiment et d'autres nous détestent… mais quand on se déteste on le fait de manière cordiale ! On se reproche des choses, car une histoire tumultueuse, parfois tragique, a formé les inconscients collectifs des deux peuples… Beaucoup d'Algériens connaissent plus ou moins quelques expressions françaises… Beaucoup lisent cette langue, la presse et la littérature algériennes francophones le prouvent bien. Mais ils ne sont pas nombreux ceux, à mon sens, qui maîtrisent cette langue à un niveau professionnel.
C'est une élite restreinte. Les autres la désirent, mais ne l'ont pas. Les universités françaises attirent plus les Algériens, y compris ceux qui désireraient faire des études d'arabe. 30% des étudiants étrangers en France semblent venir d'Algérie et je ne m'étonne pas du tout de cela, car l'idéal est pour nos étudiants de se hisser au niveau d'acceptation des universités françaises, tout comme nos gouvernants qui préfèrent s'y soigner ou certains anciens moudjahidine qui préfèrent résider en France, alors qu'ils ont les moyens financiers de vivre en Angleterre ou aux USA…
Situation qu'a bien résumée notre ami Rabah Sebaâ dans l'un de ses livres. Des milliers de médecins, de chercheurs… algériens assurent la bonne marche des services de santé publique française, des auteurs primés garantissent la présence mondiale prestigieuse du français et de sa culture. Cette ambivalence imposée par le discours officiel, relèverait-elle de la psychanalyse ? Ou y aurait-il simplement un discours public stigmatisant, car idéologiquement attendu, et un autre intime plus pragmatique.
– Le recul dans la maîtrise du français a-t-il profité à l'arabe scolaire ?
Le recul de cette langue, en termes de nombres de locuteurs, de statut social et de maîtrise, est important. La baisse du degré de maîtrise de cette langue à l'écriture spécialisée est tout aussi importante. Comparer à titre d'exemple le niveau d'écriture de Mouloud Mammeri, Taos Amrouche, Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mostéfa Lacheraf… et même de Malek Bennabi, aussi islamiste qu'il fut, avec les écrits littéraires de bonne facture d'aujourd'hui et l'on se rendra compte de cette baisse…
Cependant, cette baisse n'a pas du tout profité à l'arabe scolaire qui a tout aussi périclité… Le défunt Abderrahmane Hadj Salah, linguiste spécialiste de l'arabe classique, disait à ses doctorants, et même dans sa dernière interview, donnée à la Radio culturelle algérienne, que l'arabe scolaire ne pouvait absolument pas décoller de sa situation archaïque qui lui a été imposée par les conservateurs qui l'ont enfermé dans sa gangue islamiste rétive à la raison et à la science, que s'il était confronté, sur son propre terrain, à une langue développée et libérée des pesanteurs mentales archaïques, comme le français.
Or, cette situation de confrontation positive qui existait dans les années 1960/80 a été effacée par ces mêmes conservateurs, emportant dans le même geste le français et l'arabe scolaire. Les contenus pédagogiques de cette dernière n'ont pas évolué, ses méthodes d'enseignement pas plus que ses références textuelles n'ont pas connu de mise à jour. La rationalité et l'humanisme ont disparu depuis très longtemps des supports pédagogiques dédiés à l'enseignement de cette langue.
D'ailleurs, même le dictionnaire le plus abouti, chef-d'œuvre lexicographique s'il en fut, de la grandiose civilisation arabe, le fameux lissan al-arabd'Ibn Al-Mandhour al-ifriqi (XIVe siècle), n'a étrangement pas pris en compte la pensée philosophique critique et l'humanisme arabe. On enseigne l'arabe scolaire aujourd'hui à l'université indistinctement dans sa forme très ancienne (classique) sans se soucier de son évolution.
A quand l'institution d'une licence d'arabe scolaire moderne ? Voyez par vous-même quelle chance a-t-on laissé à cette langue pour se développer et se hisser au niveau des autres langues de civilisation ! A force de vouloir trop l'aimer, les conservateurs ont fini par l'étouffer !
– Comment expliquer que le français soit si présent dans notre quotidien (parler algérien, enseignes publicitaires, emballages…) alors même qu'il est vilipendé par une partie de la population ?
Vilipendé est un mot trop fort. Une certaine idéologie voudrait bien le disqualifier, certes, pour des raisons idéologiques et d'intérêts immédiats. C'est un commerce. En réalité, l'Algérien est ouvert à la langue française et à sa culture pour les raisons que j'ai expliquées plus haut. Parfois, le rejet, dans certains discours d'occasion, est l'expression d'un conformisme sociétal où il est convenu de faire mine de ne pas aimer le français, langue du colon, alors que les textes fondamentaux de la Révolution, des premiers jusqu'aux derniers, ont été rédigés en français !
Mais confrontés à la réalité, ils choisissent toujours de faire leurs études, leur tourisme, leurs séjours médicaux et autres, et même mourir en France…pour ceux qui ont cette possibilité ! Cette forte présence du français dans notre environnement et notre vie intellectuelle est due tout simplement tant à la longue histoire commune qu'à la proximité géographique qui a tissé des amours (beaucoup de mariages mixtes), et des haines.
La France s'attend presque d'évidence qu'elle soit privilégiée en Algérie, et l'Algérie s'attend aux mêmes privilèges de la part de la France ! Si bien que l'on peut affirmer, pour compléter la récente affirmation de M. Bajolet, que d'aucuns en Algérie regardent la France comme «une mère indigne», mais il n'est pas faux d'affirmer l'hypothèse que la France regarde l'Algérie comme «une fille indigne» !
– Les interférences envahissent le parler algérien. Progressivement, de nombreux mots sont remplacés par des mots français «algérianisés» ou conjugués à l'arabe. Cette mosaïque de langues est-elle le reflet d'un malaise langagier ou une preuve de l'évolution de l'arabe algérien ?
L'arabe algérien, tout comme le marocain et le tunisien, sont des langues vivantes, dynamiques qui répondent aux besoins communicationnels immédiats de leurs locuteurs natifs. Ils n'ont aucun complexe de pureté linguistique qui n'est d'ailleurs rien de plus qu'un fantôme. L'arabe classique coranique est tout aussi truffé d'emprunts au syriaque, au persan et même au latin…
L'anglais partage avec le français 60% de son vocabulaire, le français contient plusieurs centaines de mots empruntés à l'arabe classique et algérien, l'espagnol de même… C'est dire que l'emprunt est normal pour toutes les langues qui sont dans leur stade dynamique.
L'arabe algérien n'est pas une exception, quand bien même il est stigmatisé par les tenants de l'arabité dite fusha et qui, en fait, ont peur de sa vivacité et surtout de sa capacité à être porté par ses locuteurs et sa culture. Ils ont peur des Algériens, s'ils venaient à se découvrir simplement algériens et se désaliéner d'un paradigme identitaire fondé sur la haine de soi qui a fait la fortune d'une certaine élite médiocre nourrie aux pétrodollars wahhabites saoudiens et moyen-orientaux.
Cette élite médiocre a été imposée à la tête de nos institutions scientifiques et administratives dans le cadre d'une politique linguistique monolingue absurde et à laquelle incombe aujourd'hui la responsabilité de la débâcle actuelle généralisée.
L'arabe algérien, qui dispose d'un dictionnaire établi par Belkacem Bensedira (entre autres) depuis le XIXe siècle, d'une grammaire et d'une morphologie, est une langue à part entière, formée sur un fond amazigh, punique et arabe hilalien avec des emprunts intégrés du persan et du turc (thèse de Mohammed Bencheneb, fac d'Alger, 1924). Il n'est surtout pas un dialecte de l'arabe classique.
Le fait que l'arabe algérien ait aussi intégré des emprunts au français ne le diminue en rien, mais au contraire montre son dynamisme. Le fait malheureux que cette langue ne dispose d'aucun égard de la part de l'Etat et des universités algériennes, quand elle n'est pas stigmatisée brutalement, entraîne une mise en sourdine de cette langue, et rend moins visible sa régularité syntaxique, sémantique et phonétique tout autant que sa puissance poétique et littéraire.
Malte est le seul pays en effet où cette langue dispose de moyens de normalisation et de standardisation et qui l'a adoptée comme langue officielle à côté de l'italien. L'arabe algérien est la langue du consensus algérien et maghrébin, il représente, aux côtés des variétés amazighes, la quintessence de l'algérianité (et de la maghribinité) aux plans historique, linguistique et culturel.
– Le mélange des langues est souvent une donnée caractéristique de l'humour chez les jeunes. Comment analysez-vous ce phénomène ?
Je n'ai pas devant moi un corpus représentatif pour en tirer des conclusions satisfaisantes d'un point de vue socio-linguistique. Je dirais simplement, de manière intuitive et sous la forme d'une hypothèse explicative à vérifier, que cela montre une attitude de non-rejet de cette langue et une tentative d'apprivoisement progressif en vue de l'acquérir. Ce qui montre probablement un regret,pour ainsi dire, de ne pas pouvoir en disposer de manière fluente.


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