Perché sur une colline à plus de 1000 m d'altitude, à environ 15 km du chef-lieu de daïra des Ouacifs, le village de Tiguemounine est devenu, en l'espace de quelques années, un lieu presque désert. Des familles entières ont déménagé et se sont installées dans les grandes villes (Tizi Ouzou, Alger, Oran). Le nombre d'habitants qui était de près d'un millier durant les années 1990 ne dépasse pas les 200 aujourd'hui. « Ceux qui sont restés ici n'ont pas les moyens pour vivre en dehors du village », précise Dda Hamza, un sexagénaire qui affirme posséder un permis de construire depuis 1981, mais « faute de moyens financiers, je n'ai pas pu construire un logis pouvant m'abriter avec mes enfants ». Cet exode massif est dû à la décennie du terrorisme aveugle qui a semé la peur dans la localité, paralysant la circulation dans la région. Rencontrés à l'entrée du village en cette journée ensoleillée du mois de janvier, des vieux expliquent : « Nous sommes livrés à nous-mêmes. Nos enfants, dont certains sont diplômés de l'université, n'ont pas accès au travail et préfèrent la misère de l'exil que de rester éternellement dans ce coin perdu. » Si certains ont bénéficié d'aides dans le cadre du FNDRA et l'Ansej, ce n'est pas le cas de tous les jeunes qui n'ont même pas de quoi payer le transport sur Tizi Ouzou. Une virée dans les ruelles étroites de Tiguemounine renseigne le visiteur sur les difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontées plusieurs dizaines de familles qui vivent majoritairement du métier de la couture et de l'élevage de bétail. La plupart des bâtisses sont en effet de type traditionnel et certaines d'entre elles sont tombées en ruine à cause des fortes pluies et de l'absence d'entretien. L'aide à l'habitat rural n'a bénéficié qu'à quelques habitants. Ces derniers affirment : « La somme octroyée n'a servi qu'à la construction de deux pièces, tout l'argent a été dépensé dans le transport de la marchandise qui coûte très cher. » Les travaux de réalisation du réseau d'assainissement ne sont toujours pas achevés. Les eaux usées sont déversées à l'air libre et parfois dans les propriétés de certains villageois. Les fortes chutes de neige durant la saison hivernale bloquent l'accès à ce village où l'on utilise encore le bois de chauffage. Les coupures d'électricité sont fréquentes et l'eau se fait rare en été. La vétusté de la route fait fuir les transporteurs, abandonnant ainsi les villageois à leur sort. Ce sont les écoliers qui souffrent le plus du manque de moyens de transport, surtout que l'APC des Ouacifs n'assure plus le ramassage scolaire depuis bien longtemps. Les élèves doivent se réveiller à 5h pour ne pas rater le premier cours de 8 h. Les parents qui arrivent à peine à subvenir aux besoins élémentaires de leur ménage ne paient pas les frais de transport pour leurs enfants scolarisés, contraints ainsi à parcourir 10 km à pied par jour à travers la forêt. « Comment voulez-vous que l'on exige des résultats satisfaisants de nos enfants lorsqu'on voit les dures conditions dans lesquelles ils étudient ? », s'interroge un citoyen du village. Hamid, 25 ans, sans emploi, a arrêté sa scolarité au CEM. Adossé au mur de Tadjmait (place publique), il déclare : « J'ai trouvé du travail à Alger mais je n'ai pas où loger. Cela m'a poussé à rentrer au village dans l'espoir de retourner dans la capitale dans quelques jours. » Pour lui aussi, la seule porte de sortie est d'aller dans une grande ville. A ce rythme, et dans quelques années, Tiguemounine ne sera plus qu'un ensemble de maisons complètement abandonnées.