Ce faisant, en collusion et dans l'entente manifeste avec l'organe qui le publie, le président de la LADDH fait la démonstration de ce détournement des valeurs (droits et libertés) de leur sens. Comment expliquer, en effet, que le président de la LADDH, qui prétend élever la liberté d'expression et la liberté de la presse à l'échelle de la bataille d'idées (puisqu'il titre «Ne pas affaiblir la bataille des idées»), nous attaque sur un texte qui, pour les lecteurs, demeure un texte fantôme puisque : 1- El Watan n'a ni publié, ni résumé, ni même mentionné une position, la nôtre, à laquelle une armature argumentaire est opposée, laissant ainsi entendre que le quotidien en question y fait au moins écho, quelque part. 2- Le lecteur est pris à témoin d'un prétendu débat dont la partie opposée est volontairement soustraite à son examen, la seule référence qui lui en est offerte étant une citation… inventée de toutes pièces. Est-ce ainsi que se construit une opinion publique ? Qu'est-ce à dire ? Sinon que les lecteurs d'El Watan étant maintenus dans l'ignorance de notre argumentation, le président de la LADDH peut construire le propos qu'il choisit de nous attribuer en lui ajustant un dispositif qui n'a pour cohérence que les attaques personnelles nichant dans le langage animalier et la métaphore. Ce procédé lui permet de nous mettre en terrain nu et de nous mettre en joue avec délectation comme une cible confectionnée sur mesure, à coups de lieux communs sur les droits de l'homme. Peut-il se poser en référence des droits et libertés et offrir un tel modèle de travestissement des idées d'autrui, de cet «abus d'interprétation» qu'il s'était plu à dénoncer chez la presse algérienne tout au long de la dernière décennie ? Ainsi fait-il mine de croire que nous désapprouvons une campagne pour la libération d'un homme et nous accuse-t-il de «persécuter un détenu», de vider des «querelles personnelles» et, pour finir, d'inciter au «crime» et à la «terreur». Convoquant Saint-Just pour nous et à notre place, le chantre des libertés en oublie, ce faisant, qu'il se forge un portrait sur mesure : celui du thermidorien. Les outrances du président de la LADDH nous confortent dans la justesse de notre analyse. Elles prouvent que celle-ci a fait mouche et que notre contradicteur ne l'a éludée que parce qu'il n'a rien su trouver pour lui faire pièce. Nos arguments portaient sur le double plan de la clairvoyance politique la plus élémentaire et d'une haute perception des droits de l'homme car, sous peine de sombrer dans l'angélisme et de succomber à toutes les manipulations, les deux approches sont indissociables : – D'abord, la suspicion est de rigueur face à une mobilisation se revendiquant de la défense de la liberté de la presse, quand bien même se draperait-elle dans des signatures réputées pour leur autorité morale, dès lors qu'elle se fait à l'initiative de journalistes compromis dans la désinformation organisée au service du crime de masse et au profit du plus zélé d'entre eux. Loin de viser Benchicou personnellement, il s'agit de remettre la cause de la liberté de la presse en bonne place et dans le bon sens, dans le passé et pour l'avenir. Libre au président de la LADDH de voir en Benchicou un homme «engagé dans la voie de la vérité et de la justice, dénonçant la répression et la corruption», abjurant l'appréciation avancée naguère dans son livre Raisons et déraison d'une guerre : «Il n'y a qu'une liberté pour le journal Le Matin, celle du pouvoir.» Est-ce pour une telle liberté qu'il se mobilise ? – Ensuite, l'attachement aux principes de l'universalité et de l'indivisibilité des droits ne saurait commander de souscrire aux actions qui, les utilisant comme subterfuges, en sont la négation délibérée. Lorsque des centaines de personnes pétitionnent pour les droits et libertés dans un pays où la terreur d'Etat, à coups de massacres, de torture et de disparitions forcées, vient de faire des dizaines de milliers de morts dans une imperturbable impunité, et qu'elles n'y font pas la moindre allusion, qu'elles continuent même, dans leur écrasante majorité, à la nier, il nous importe de nous hisser justement au niveau des idées et des principes pour mieux souligner les dérives qui nous guettent. Au président de la LADDH qui prétend n'avoir jamais «cédé à l'indignation sélective», nous opposons les faits qui se chargent de montrer comment il y est empêtré, en l'occurrence, enrôlé dans une mobilisation orchestrée par les pires faussaires des droits de l'homme. Si on ne peut lui retirer le mérite du combat qu'il a mené au cours de la dernière décennie, il ne doit pas s'en autoriser pour verser dans la suffisance. Un retour sur la vie politique et médiatique, pour nous en tenir à l'année écoulée, illustre amplement à quel point il s'est écarté de cette ascèse intransigeante du militant des droits dont il se targue dans sa réponse. Sa part d'ombre s'est révélée à un point tel qu'on a pu se demander à certaines occasions s'il prenait position au nom des droits de l'homme et de la LADDH en s'impliquant et en impliquant son organisation dans les conflits opposant les clans du pouvoir. Le président de la LADDH aura bien du mal à soutenir que c'est le défenseur des droits de l'homme qui parlait en lui lorsqu'il exigeait l'an dernier, pendant la «crise» du FLN, que soient «emprisonnés immédiatement» les chefs d'une des factions (Le Matin du 9 juin 2003). Il a égaré les militants des droits de l'homme en s'emparant de l'affiche médiatique généreusement offerte, dans le combat clanique destiné à crédibiliser une élection présidentielle qui n'en est pas une (Voir «Bouteflika et la Constitution. Par le flic et le fric», El Watan du 16 février 2004). De même, il ne pouvait prétendre n'engager que sa personne dans l'aventure des «10+1», aux côtés des personnalités politiques les plus compromises en saisissant en février 2003 l'état-major, hissé à la dignité de Haute Cour, d'un mémorandum sur les «violations de la Constitution» commises par Bouteflika, assorti d'un appel pressant à intervenir dans l'élection présidentielle (El Watan du 16 février 2004). De quelle constitutionnalité se prévalait-il alors ? De celle dont il dénonçait la mise à mort en 1992 et qui aurait miraculeusement ressuscité ? Et, pressentant que l'appel ne serait pas entendu dans le sens souhaité, c'est dans le même esprit, vraisemblablement, que, dans une interview à L'Expression (24 février 2004), il affirmait qu'«en l'absence d'institutions crédibles et fortes, c'est à (l'armée) que revient le rôle d'arbitre», ajoutant : «Les généraux sont avant tout des patriotes (…) je reste persuadé que cette réaction aura lieu.» Peut-être ignorait-il qu'elle était déjà en marche. Ces exemples démontrent que le président de la LADDH sait accommoder ses principes à ses passions politiques, à ses haines intimes. Qu'il s'abstienne donc de forcer le trait de la vertu outragée lorsqu'il est pris en défaut. Le retentissement donné à l'affaire Benchicou est lesté d'une manœuvre grossière des journalistes et intellectuels qui ont le plus explicitement soutenu la répression. Ceux-là campent sur leurs positions tout en voulant nous convaincre de tirer un trait sur les «divergences» des années 1990. Pendant ce temps, ils désinforment de plus belle, avec les charniers de la Mitidja, le procès de Bentalha et la question des disparus. Les compromissions du président de la LADDH se propagent à l'ensemble d'une organisation qui tranchait jusque-là dans le paysage politique par son souci d'autonomie et de distanciation. Elle risque à court terme de se trouver entraînée dans une vaste opération de blanchiment de criminels qui n'auront jamais plus à répondre de leurs actes. Il s'en faut de beaucoup que le problème des droits de l'homme soit devenu une cause nationale en Algérie. Que le président de la LADDH se soit fait contre nous le porte-voix des plus irréductibles d'entre les négationnistes de la terreur d'Etat n'en est que plus désolant mais significatif de la brume sous laquelle les signes d'intelligibilité de la situation politique sont ensevelis.