Ses textes poétiques et son engagement contre le pouvoir et l'intégrisme islamique demeurent toujours le référent de toute une jeunesse lassée des vieilles litanies que le pouvoir perpétue dans ses agissements. «Seule la culture du genre arabo-islamique” a été favorisée par le système et appuyée par l'arabisation au rabais et les films égyptiens. Où est la place de la culture berbère ? Où sont nos coutumes et traditions ? La robe kabyle ou le haïk algérois n'ont rien à envier au djelbab iranien ou soudanais. Pourquoi ne parle-t-on pas de Kahina, de Koceïla et des autres guerriers berbères ? Pourquoi pas des édifices en leur nom ? Pourquoi ignore-t-on la civilisation berbère ?» Sont autant de requêtes qui démontrent avec conformité la position intransigeante de son combat et son refus criant de l'extravagance, devenue depuis l'indépendance une vertu du pouvoir. Nul ne peut ignorer l'apport indéfectible que le chantre de l'amazighité a apporté à l'inspiration de l'action culturelle et le déclic qu'il engendre dans la création culturelle. A titre d'exemple, l'une de ses chansons a été une source d'inspiration pour le montage d'un court métrage sous forme de cassette vidéo, sortie sur le marché sous le titre Azal n tsar (le prix de la vengeance) qui a d'ailleurs été primée lors du Festival du cinéma amazighe, qui s'est tenu à Oran. «Lorsque je dis quelque chose, je pense que c'est la vérité, mais si je me rends compte que c'est le contraire, je le reconnais, et je ne persiste pas dans l'erreur, c'est là aussi un rétablissement de la vérité.» Une qualité que Lounès a de tout temps préservée d'où sa lucidité et son éveil précoce qui ont fait de lui un rebelle et un défenseur acharné des causes justes qu'on retrouve distinctement dans ses textes matérialisant à la fois les soupirs et les inquiétudes d'un peuple dépossédé de son identité ancestrale. Des textes qui ne sont pas uniquement de l'exaltation de l'âme ou encore du lyrisme, mais plus une prise de conscience et une arme à une sensibilisation de toutes les couches sociales pour un engagement continu et durable de la cause. Lounès en affirmant «je ne me crois pas leader. J'essaie de défendre une cause que je trouve juste, c'est tout», n'est pas de ceux qui se proclament des pionniers du militantisme et de la démocratie en Algérie. «Moi, j'ai fait un choix, Djaout avait dit : il y a la famille qui avance et la famille qui recule. J'ai investi mon combat aux côtés de celle qui avance.» Un choix bien rempli par Lounès au détriment des suites pénibles qu'il a réussi malgré tout à surmonter avec le soutien de tout un peuple qui s'est d'ailleurs montré reconnaissant à chaque fois que l'occasion s'est présentée : «Je pense que le public mérite plus. Disons que j'ai appris une chose : je suis un chanteur pas ordinaire. Dans les moments difficiles et douloureux, n'étaient ces gens, je n'aurais jamais remonté la pente. Le public était là, à mon chevet, pendant des mois. J'ai subi dix-sept interventions chirurgicales en un temps record, c'est grâce à Dieu Le Tout-Puissant et à l'amour de ces gens que je suis ce que vous voyez.» «J'ai même repris l'hymne national à ma manière.» Un tournant décisif qu'il n'avait pas peur d'affronter en dépit des risques encourus. Une manière aussi de déclencher la mémoire collective pour prévenir d'abord et mobiliser ensuite. Son franc-parler a fait de lui un symbole de résistance et un symbole de revendications devenus indissociables auprès de la communauté réceptive. Sept ans après sa disparition, les circonstances exactes de son assassinat demeurent toujours floues ; comme si Lounès avait raison en disant : «Dieu me rendra justice, car la justice des hommes a malheureusement choisi le chemin de l'exil.» Outre sa poésie revendicatrice et engagée, Lounès Matoub n'a pas omis ou par nécessité de composer dans le «lyrico-dramatique» caractérisé dans sa globalité de textes traitant du vécu social, d'amour, mais aussi de douleur et d'affliction d'une perfection inégalée jusqu'ici. La richesse de son lexique est là pour en témoigner. Cet homme, haut comme le ciel et tellement «profond» à tel point qu'on peine à atteindre le fond, a réussi à laisser derrière lui toute une génération qui continue à montrer sa détermination à aller jusqu'au bout de ses aspirations quitte à les payer de son sang. Nous ne saurions conclure sans inclure cette phrase symptomatique du chantre : «Je sais que je vais mourir dans un mois, deux mois, je ne sais pas. Si on m'assassine qu'on me couvre du drapeau national et que les démocrates m'enterrent dans mon village natal, Taourirt Moussa. Ce jour-là, j'entrerai définitivement dans l'Eternité.