Dans notre pays, on pardonne facilement aux terroristes mais pas aux journalistes. Les premiers on les enrichit, on les recycle avec une incroyable désinvolture dans la vie sociale, on les encourage par moments à faire de la politique, à hausser le ton malgré les crimes commis — qu'ils ne regrettent d'ailleurs jamais — mais on ne tolère toujours pas que les journalistes fassent leur métier. L'appareil judiciaire de notre pays est toujours prêt à réprimer lorsque les « lignes rouges » sont franchies. Nedjar El Hadj Daoud, directeur de l'hebdomadaire El Waha, est en prison depuis hier pour diffamation. C'est un journaliste d'une admirable ténacité, qui se bat avec un incroyable courage... Il subit depuis des années déjà un harcèlement judiciaire d'une exceptionnelle intensité. Ses crimes ? S'entêter à enquêter dans le sud du pays sur tout ce qui touche aux intérêts mafieux dans le foncier, l'immobilier, le trafic d'influence... Nedjar El Hadj Daoud n'est pas homme à se laisser impressionner par les menaces de mort, les innombrables condamnations, les affaires qui traînent en longueur..., les intimidations de l'administration locale et des barons locaux. En pleine campagne préélectorale et alors que la région de Ghardaïa se relève difficilement des affres dans lesquelles elle était plongée, la Cour suprême vient de trancher une affaire qui traîne depuis trois années. Cette décision scandaleuse n'honore pas la justice algérienne, au moment où le délit de presse est dépénalisé un peu partout dans le monde, notamment en Afrique et en Asie. Le fait de jeter un journaliste en prison laisse à penser que notre pays est loin d'être une démocratie, même balbutiante. Ce sont des pratiques d'un autre âge, qui ternissent l'image de notre pays à l'étranger. Cet acte met à nu le mensonge des discours sur le respect de la liberté de la presse en Algérie. Les juges se cachent bien évidemment derrière les amendements introduits en 2001 dans le code pénal, plus par esprit de compromission que tout autre chose. Les juges ont pourtant la latitude de rendre la justice avec beaucoup plus de sérénité. Mais beaucoup d'entre eux préfèrent ne pas subir les foudres de l'appareil d'Etat, tant dans les régions qu'au niveau central. Il est plutôt rare de rencontrer un journaliste qui parvient à éviter une condamnation dans les tribunaux. Et ce ne sont pas les affaires qui manquent pour certains titres indépendants. Pourtant, la profession a considérablement amélioré ses outils d'intervention — les enquêtes sont beaucoup plus sérieuses, fondées et les mis en cause sont régulièrement sollicités. Rien n'y fait, l'argument des autorités servi à tout bout de champ sur le manque de professionnalisme des journalistes ne tient plus la route. Il apparaît plus comme un prétexte pour empêcher le journaliste d'enquêter, d'être le témoin implacable de son temps... En vieux routier de l'information, Nedjar El Hadj Daoud n'a pas voulu se compromettre avec un système local et régional en pleine décrépitude. Il le paye aujourd'hui. Il doit être libéré. Sa place n'est pas en prison. La profession ne doit pas se taire face à cet arbitraire, à cette grave atteinte à la liberté de la presse dans notre pays. Elle doit se mobiliser, en dépit des clivages et des dissensions qui la traversent, pour permettre à l'un des nôtres de rentrer chez lui et de reprendre son travail.