Difficile de comprendre ce qui s'est passé à Berriane. Interrogé sur les raisons du conflit ,un membre du conseil malikite, enseignant de son état, affirmera qu'il est « politique et social ». Sans en dire plus, notre interlocuteur s'excusera en annonçant qu'il devait rejoindre la ville de Ghardaïa, où il avait, dans la soirée, une importante réunion dans le cadre de la prochaine élection présidentielle. Il est membre du staff local du candidat Bouteflika. Cependant, pour bien cerner l'origine de la violence dans cette localité, il faut remonter à l'année1990, où il y avait eu les premiers affrontements entre les deux communautés. C'était lors des élections locales. La confrontation a eu lieu d'abord sur le plan politique avant qu'elle ne se traduise par des actes de violence. La liste, conduite à l'époque par le Fis, avait fait face à une sérieuse concurrence. Tout le monde pensait que ce parti, qui avait le vent en poupe, devait également rafler la mise dans la commune de Berriane. Mais c'était sans compter avec les candidats indépendants, une liste présentée par la communauté mozabite. La nuit du 12 juin 1990, à l'heure du dépouillement, le fis est défait. Cela a été le début des hostilités contre les ibadites qui détiennent désormais le pouvoir local. Les affrontements avaient fait deux morts. Pour beaucoup de ghardaouis, ce fut le premier acte terroriste, dont le parti islamiste avait une responsabilité directe, mais les affrontements n'avaient pas duré. La promptitude de l'Etat était alors au rendez-vous. La situation a été rapidement maîtrisée ouvrant le chemin à la paix qui s'installera pour quelques années, jusqu'au mois d'avril dernier. A Berriane, les gens le savent et le disent à haute voix : « L'élection d'un maire RCD a été mal digérée. » Selon des élus toujours en poste, « le premier à ouvrir les hostilités, a été le chef de daïra ». « Il refusera, dira notre interlocuteur, carrément de travailler avec le nouveau président de l'APC ». « Les différents tentatives de conciliation se sont toutes avérées infructueuses », nous confiera un élu islamiste rencontré sur place. Il se rappelle très bien de l'une de ces rencontres entre les deux parties concernées, en présence des autres membres de l'assemblée communale, où le chef de daïra a rejeté catégoriquement l'offre de paix. La suite est logique, des réunions importantes où le P/APC devait être présent, ont eu lieu sans lui. Le responsable de l'administration, selon les témoignages d'un élu qui a suspendu ses activités au sein de l'assemblée communale jusqu'à son départ, soutient que l'apc a été totalement écartée de la vie de la commune. Selon les mêmes sources, c'est un secret de polichinelle et que l'objectif visé était de dissoudre l'assemblée communale et la remplacer par une délégation exécutive communale (DEC). Et la demande avait été formulée officiellement au ministre délégué aux Collectivités locales, Daho Ould Kablia, lors de son déplacement à Ghardaïa. Ce dernier avait refusé. Un élu du RCD et vice-président de l'APC, indique notre interlocuteur, a été même approché pour tourner casaque. Quand la politique, la religion et la misère font ménage ! Des gens de Berriane voulaient à tout prix déposséder le parti de Saïd Sadi de sa majorité. « Le complot » a échoué et le courant ne passera plus jamais entre deux entités censées travailler la main dans la main pour aider une population rongée par le chômage et la malvie. Le bras de fer bloquera tout le fonctionnement de l'APC, jusqu'au jour où la communauté mozabite pensait devoir trouver un compromis interne. Le P/APC, d'obédience RCD, est invité à se retirer gentiment de son poste, laissant sa place à un proche parent qui lui est un élu FLN. C'est « un ancien de la boîte ». Il a fait trois mandats à la tête de la commune de Berriane. Lors de l'entrevue qu'il nous a accordée, la semaine dernière dans son bureau, le maire soutient qu'il y a plusieurs raisons à l'origine de la situation dans sa localité. La prudence l'empêchera de les révéler. Il nous parlera, quand même, du chômage qu'il estime toucher 35% de la population active, environ 3000 jeunes. Les problèmes de Berriane proviennent aussi de là. Cependant, son retour aux affaires locales n'a rien apporté, puisque il y a eu, par la suite, les affrontements du 30 janvier dernier. Il se fait même insulté par des jeunes qui demandaient leurs dus : ils avaient nettoyé les rues après les affrontements, en contrepartie ils toucheraient 12 000 da. Cependant, le chômage et la pauvreté ne sont, en réalité, que la partie apparente de l'iceberg. Ils servent de terreau à la manipulation et à la violence. Des jeunes rencontrés à Chaâba, l'appellation locale de la place du quartier arabe, donnent d'incroyables justifications aux actes de violence. L'un d'eux reproche aux mozabites le fait « de se renfermer sur eux-mêmes. Ils refusent de marier leurs filles aux autres ». Mais pis encore, on a fait admettre aux jeunes que « les ibadites sont des hypocrites qui, à La Mecque, s'alignent sur les mêmes rites que les sunnites dans l'accomplissement du hadj et en revenant, ils se livrent à d'autres pratiques ». Interrogés les mozabites répondent : « Nous sommes des sunnites et ce qu'ils racontent n'a aucun fondement. » A la question que cela ne justifie en rien l'assassinat d'un enseignant et d'un jeune jeté de la terrasse de sa maison en feu, nos interlocuteurs, dans les quartiers arabes, ne trouvent pas quoi répondre, sinon la narration des histoires comme celles-ci : « j'ai des images d'un Mozabite pédophile, j'ai aussi des images d'un mozabite qui a jeté un de ses employés dans un puits pour ne pas lui donner ses rémunérations et également des photos de jeunes mozabites brûlant l'emblème national ». Les mozabites réfutent « toutes ces allégations » qui alimentent la haine et font de Berriane une ville assise sur un volcan. Leurs notables évoquent clairement des intérêts politiques, financiers et fonciers, mais pensent que « le vrai problème de Berriane, c'est l'éducation de la population ».