Je m'accrochai désespérément à mon pal.» «Puis ce fut Baq'yyeh qui m'invita à descendre, me disant que Wala m'avait construit près de sa demeure un palais de coquillages. Derechef, je m'accrochai à mon pal. Puis ce fut le tour de Sa'id, le fils de Yu'ad et le frère de Yu'ad qui, agitant sa tunique de pourpre, me cria «viens mon père que je te réchauffe sous mon manteau !» Je m'accrochai, une fois de plus, à mon pal. Cet extrait (p.194) du roman Les aventures extraordinaires de Sa'id le Peptimiste (éditions Gallimard, Paris 1987) d'Emile Habibi, (1) résume l'essentiel de la pensée patriotique de cet auteur palestinien qui a lutté pour le maintien du peuple palestinien sur sa terre, terre de ses ancêtres. Tandis que la plupart fuyaient leurs terres, abandonnant meubles et immeubles, abandonnant toute cette civilisation millénaire construite au prix de milliers de sacrifices par des ancêtres ayant «fait l'Histoire», Emile Habibi, ce visionnaire incontesté s'accrocha à son pal (qui est aussi un diminutif symbolique de Palestine). Les événements de 1948 n'ébranlèrent guère sa conviction patriotique. Au contraire, l'écrivain fonda la même année à Haïfa son célèbre quotidien Allttihad (l'union) au titre si symbolique, si évocateur et au slogan «Palestiniens, unissez-vous», si visionnaire, 51 révolutionnaires. «Le jour que j'avais choisi tombait le11 du dernier mois de l'année 1948, de sinistre mémoire. Je ne suis pas près d'oublier cette date qui, par la suite, est devenue le point de repère de mon comput personnel ; c'est par rapport à lui que je date les événements de ma vie, qu'ils aient eu lieu avant ou après » (p.72). L'année 1948 a été considérée par Emile Habibi comme date de référence, comme point de départ de son combat patriotique. Dès lors, les préoccupations de l'écrivain s'infléchissent vers l'engagement patriotique inéluctable. D'abord journaliste, l'écrivain apprend de son métier un coup d'œil juste et un sens aigu de l'observation. Dans ses œuvres (une dizaine de livres publiés), on trouve des pages dures et tristes sur l'oppression contre les Palestiniens. Des plongées dans la tourmente, que vit son peuple, sont empreintes d'une désolante cruauté. Ses écrits dissèquent magistralement la situation dans les territoires occupés. L'écrivain sait être poignant pour décrire le sort misérable réservé quotidiennement depuis 1948 à ses concitoyens. En écrivain authentique, autochtone et patriote, il a une imagination de visionnaire qui l'a toujours guidé à puiser dans les contes du patrimoine palestinien, dans les témoignages oraux et dans le vécu pour tenter la résurrection d'une lutte à jamais inéluctable. L'écrivain rend accessible, par ses écrits, sous une forme rénovatrice, la notion de solidarité, nullement limitée au peuple palestinien, mais élargie à l'humanité toute entière.