Du foin plein dans les rues, dans les cages d'escalier et dans les balcons des appartements les plus huppés. Des odeurs d'urine à vous crever les narines, des excréments qui s'écrasent allégrement sous les souliers des passants et une saleté qui est venue s'ajouter à un paysage déjà pas bien au point. C'est là le décor de nos grandes cités en cette veille de l'Aïd El Adha. Un décor qui ne semble pas déranger outre mesure ceux qui sont censés protéger les villes et leur environnement. Les plus belles décisions pour réglementer ce flux massif de moutons, peut-être jamais enregistré jusque-là, n'ont pu avoir raison de la volonté de tous ces jeunes et moins jeunes de se découvrir une nouvelle vocation : devenir des bergers le temps d'une fête. Des bergers dans la ville ! Ce n'est certainement pas le titre d'un film, mais cela aurait pu être tout comme n'étaient ces odeurs nauséabondes qui nous ramènent à la réalité du jour, celle qui veut que nos villes deviennent de grandes bergeries. Et tous ceux qui ont misé pour que la capitale retrouve - ou doit retrouver - son lustre d'antan feraient mieux de mettre entre parenthèses leur projet tant les bergers d'aujourd'hui ont l'intention de récidiver l'année prochaine et celle d'après tant le mouton est devenu une source de revenu, un jeu et un passe-temps. Un revenu, pour la simple raison que bon nombre de personnes ont fait le déplacement à Sougueur, Djelfa, Berrine, M'sila... pour ramener des « convois » de moutons pour les revendre ensuite. C'est ainsi que le coiffeur d'hier, le boulanger, l'épicier du coin, le tailleur... se sont reconvertis à faire le pâtre, en faisant une occupation systématique de tous les lieux pouvant contenir leur troupeau. Si les différentes communes ont réservé des endroits précis pour la revente, nos « néobergers » ne se dérangent nullement pour s'installer dans des locaux commerciaux, des appartements, à l'intérieur même des cités, sans aucune norme d'hygiène et surtout sans être inquiétés. La capitale, comme une bergère, répond au berger en s'accommodant sans douleur des vertus de la bergerie. Un jeu, parce que les moins jeunes ont institué des mises sur ce qui convient d'appeler la « degua », soit un combat entre les moutons. Un véritable massacre qui fait courir beaucoup de gens dans la mesure où de véritables tournois sont institués. D'abord les interquartiers, ensuite les interrégions qui drainent de nombreux supporters. Le tout accompagné de ghaïta pour donner des airs typiquement montagnards à des villes qui ont de la peine à se « citadiniser ». Un passe-temps enfin, car certains - sûrement pris d'oisiveté - ont troqué leurs cages de canaris qu'ils trimballaient avec eux contre une ficelle au bout de laquelle un mouton bien corné les suit pas à pas. En attendant le jour du grand sacrifice, jeudi exactement, les moutons continuent d'affluer et les autoroutes reprennent leur dénomination d'antan où elles se faisaient appeler, toute honte bue, « route moutonnière ».